Religion bahá'íe

Le secret de la civilisation divine

Le secret de la civilisation divine (Abdu'l-Bahá)
Auteur: Abdu'l-Bahá (révélation 1875)
Edition: MEB 1973- ISBN 2-87203-096-4

Table des matières

Introduction
1. Les moyens donnés à l'Homme pour contribuer à la civilisation
2. La situation en Perse
3. La nécessité d'une évolution matérielle et sociale
4. Les rangs dans la société
5. Qualités des représentants élus
6. La nécessité du progrès
7. Les quatre normes des érudits
8. La première norme: être prudent
9. La deuxième norme: défendre sa foi
10. La troisième norme: Combattre ses passions
11. La quatrième norme: obéissance aux commandments
12. Les sources religieuses de la civilisation
13. Les réformes nécessaires
14. La nécessité d'emprunts extérieurs pour réformer la situation en Perse

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Introduction

Avant-propos

Comme les éditions précédentes en français sont épuisées, La Maison d’éditions a jugé utile d’en refaire une publication d’un tirage limité.
La traduction de MARTHE GRONDIN, précédemment publiée, a été sommairement retravaillée en attendant la révision par la Commission de traduction. Celle-ci termine la révision des versions françaises des Écrits de Bahá’u’lláh avant d’entreprendre la révision systématique des Écrits de ‘Abdu’l-Bahá, ce qui prendra vraisemblablement quelques années encore.
La Maison d’éditions espère rencontrer ainsi l’attente de ceux qui souhaitent avoir à leur disposition cette oeuvre importante de ‘Abdu’l-Bahá.

Maison d’éditions bahá’íes
Mars 2011


Introduction

Jamais le caractère spirituel de la vraie civilisation ne fut révélé en des circonstances aussi extraordinaires et par un auteur aussi qualifié que dans ce texte de ‘Abdu’l-Bahá. Écrit en 1875, le texte persan original fut lithographié à Bombay en 1882. La première version anglaise fut publiée à Londres, en 1910, et, plus tard, à Chicago, en 1918, sous le titre « Les Forces mystérieuses de Civilisation ». La traduction en anglais de Marzieh Gail, plus précise, reflète la maîtrise des deux langues que possède un auteur accompli dont le père était persan et la mère américaine et qui résida dans ces deux pays pendant des années. Symbole de sagesse, de noblesse, d’héroïsme et de dévouement absolu à la cause de l’unité spirituelle et de la paix universelle, le nom de ‘Abdu’l-Bahá a atteint une renommée unique en Orient et en Occident. Ce nom signifie « Serviteur de Bahá (i.e. Serviteur de Bahá’u’lláh).

Né en Perse le 23 mai 1844, fils aîné de Bahá’u’lláh, ‘Abdu’l-Bahá vit le jour à la date même où ‘Alí Muhammad, maintenant connu comme le Báb, annonça sa mission. Celle-ci était d’inaugurer une nouvelle dispensation religieuse et de préparer la voie pour Bahá’u’lláh, auteur de la révélation bahá’íe. ‘Abdu’l-Bahá n’avait que six ans quand le Báb fut martyrisé à Tabriz et huit à peine quand sur l’ordre du chah, Bahá’u’lláh fut emprisonné dans un cachot de Téhéran. Quelques mois plus tard, il accompagna Bahá’u’lláh dans son exil à Bagdad. Ce fut pour ‘Abdu’l-Bahá le début d’une période d’exil et d’emprisonnement qui devait durer jusqu’en 1908. Bahá’u’lláh, sa famille et ses disciples furent conduits de Bagdad à Constantinople, de là à Andrinople et, enfin, à la forteresse d’Acre, en Terre sainte, où Bahá’u’lláh mourut en 1892. Pendant toute cette période, ‘Abdu’l-Bahá, endurci par l’adversité et vainqueur par l’esprit, manifesta de plus en plus les qualités et les pouvoirs sur lesquels Bahá’u’lláh devait fonder l’avenir de sa foi mondiale en le nommant, dans son Testament, le modèle de la vie religieuse, l’interprète de ses paroles et le Centre de son alliance avec l’humanité.

De 1892 à 1908, ‘Abdu’l-Bahá fut en butte à une oppression extrême dont il fut enfin libéré par la révolution turque, à la suite de laquelle tous les prisonniers politiques condamnés par le sultan furent relâchés. Ce fut le général Allenby, conquérant militaire de la Palestine lors de la Première Guerre mondiale qui, sur les instructions de Lord Balfour, secrétaire aux Affaires étrangères, prit les mesures nécessaires pour assurer sa sécurité.

De 1911 à 1913, ‘Abdu’l-Bahá visita l’Europe et l’Amérique du Nord, rencontrant les communautés locales bahá’íes, prononçant des conférences dans les sociétés pour la paix, les universités, les églises, les synagogues, les associations de Noirs, rencontrant des personnalités importantes de divers gouvernements, du monde enseignant et du clergé, et promulguant, par l’exemple et l’éloquence, les principes de la paix universelle. La liste des personnalités qu’il rencontra est trop longue pour prendre place ici, mais le caractère de l’accueil réservé à ‘Abdu’l-Bahá en Occident peut être démontré en nommant, entre autres : à Londres, l’Archidiacre Wilberforce, le révérend R.J. Campbell, Lord Lamington, Sir Michael Sadler, les Maharajahs de Jalawar et Rajputana, le professeur E.G. Browne et le professeur Patrick Geddes ; à Paris, le Ministre de Perse, l’Ambassadeur de Turquie, « des dignitaires ecclésiastiques de diverses branches de l’Arbre chrétien » à Vienne, le professeur Arminius Vambery, plusieurs membres du Parlement, le Comte Albert Apponyi, le prélat Alexander Giesswein et le professeur Ignatius Goldziher; et, en Amérique, le docteur David Starr Jordan, le rabbin Stephen Wise, Alexander Graham Bell, l’honorable Franklin K. Lane, Mme William Jennings Bryan, Andrew Carnegie, l’Honorable Franklin Mac Veagh, l’amiral Peary et Rabindranath Tagore.

Les conférences enregistrées et les écrits de ‘Abdu’l-Bahá qui paraissent représenter l’essence de son message à l’Occident, comprennent les allocutions prononcées au City Temple de Londres, à l’université Stanford de Californie et au Temple Emmanuel de San Francisco ; on peut y ajouter la lettre qu’il adressa au Comité pour la paix durable à La Haye et celle qu’il écrivit au docteur Forel, savant suisse [voir : « Lettre de ‘Abdu’l-Bahá au Professeur Forel », Bruxelles, Maison d’éditions bahá’íes, 1974.]. Dans plusieurs de ses discours aux États-Unis, il demanda à l’Amérique de guider les nations vers la paix, la justice et l’ordre social. Dans « Les leçons de Saint-Jean d’Acre », Laura Barney nota avec précision les réponses que fit ‘Abdu’l-Bahá aux questions qu’on lui posait concernant les prophètes, la destinée de l’homme, ses attributs et ses pouvoirs, l’immortalité et la vie future ; ces réponses furent considérées dès lors comme l’introduction idéale à cette nouvelle ère de religion universelle.

La mission si fidèlement remplie par ‘Abdu’l Bahá de 1892 à 1921 au titre de Chef de la communauté mondiale bahá’íe, toute providentielle qu’elle soit, n’a aucun rapport direct avec le texte du présent volume.

« Le secret de la civilisation divine » constitue un message adressé aux gouvernants et au peuple de Perse, dont la glorieuse civilisation fut réduite à un état pitoyable par la corruption de son gouvernement, l’ignorance de ses masses et l’oubli des vérités essentielles de sa religion. Détaché de toute considération personnelle touchant les épreuves cruelles qui lui furent imposées par ses concitoyens, ‘Abdu’l-Bahá, dans cet ouvrage, offre à la Perse le riche trésor de sa compréhension éclairée quant aux causes de chute et de relèvement des civilisations. C’est un guide manifeste vers le chemin d’une future grandeur et le modèle d’un véritable ordre social.

Bien qu’ignoré par ceux dont le bien-être était le but de ce don précieux, le message de ‘Abdu’l-Bahá s’applique à l’état général de la civilisation moderne prise dans sa globalité. L’impérialisme, le nationalisme, le racisme, le matérialisme et le sectarisme traditionnels ont conduit l’humanité au bord du désastre suprême prédit dans les passages prophétiques des Écritures saintes de toutes les religions. Le secret de la civilisation divine est donc offert à l’étudiant de la société comme un traité comblant le large fossé qui existe entre la politique et l’économie technologiques et le but véritable de la création de l’homme, l’instauration de la vertu sur terre.

Le lecteur n’a qu’à se référer à ce passage souvent cité pour constater comment ‘Abdu’l-Bahá transforme la vérité spirituelle en termes sociologiques : « La civilisation véritable déroulera sa bannière au coeur même du monde quand un certain nombre de ses distingués souverains à l’esprit éclairé - brillants exemples de dévouement et de détermination - se lèveront, en vue du bien-être et du bonheur de l’humanité, pour établir la cause de la paix universelle. Ils doivent faire de la cause de la paix l’objet d’une consultation générale et chercher par tous les moyens dont ils disposent à établir une Union des nations du monde. Ils doivent conclure un traité d’alliance dont les dispositions seront sacrées, inviolables et précises. Ils doivent le proclamer à la face du monde et obtenir la sanction du genre humain tout entier. Cette noble et suprême entreprise, vraie source de paix et de bien-être pour le monde entier, doit être considérée comme sacrée par tous les habitants de la terre. Toutes les énergies de l’humanité doivent être mobilisées pour assurer la stabilité et la permanence de cette Très Grande Alliance… Le principe fondamental de cette solennelle réalité devrait être établi de telle sorte que si un gouvernement devait dans la suite violer l’une quelconque de ces dispositions, tous les gouvernements du monde se lèveraient pour le réduire à une soumission totale ; bien plus, l’humanité tout entière devrait prendre la résolution de briser ce gouvernement, avec tout le pouvoir dont elle dispose. Si ce plus grand de tous les remèdes était administré au corps malade du monde, il guérirait assurément de ses maux et demeurerait éternellement sain et sauf. »

Pour ‘Abdu’l-Bahá, la civilisation est un organisme au sein duquel les parties ne peuvent jamais être égales mais où chacune a une fonction spécifique à remplir en regard du corps entier. L’état égalitaire est une fausse conception de la justice. L’homme ne peut s’accomplir que dans l’unité car l’unité est un seul esprit qui anime la diversité des hommes.

Cet esprit omni-pénétrant ne peut être engendré par des forces extérieures et il n’accordera pas la victoire à des visées partisanes ou sectaires. Il s’est manifesté, à travers l’histoire, par l’esprit de foi insufflé par les prophètes à leurs premiers disciples qui sacrifièrent leurs désirs personnels à l’amour de Dieu. Cet esprit est l’expression de l’amour de Dieu pour l’humanité et sa lumière a jusqu’à présent été éclipsée par des loyautés secondaires, temporaires et discordantes, qui ont préoccupé les coeurs des hommes.

Parce que ‘Abdu’l-Bahá vivait dans cet esprit universel, par le fait qu’il unifia et réconcilia en lui-même les diverses potentialités que les hommes expriment par la science, les arts, la philosophie, le commerce, les professions et l’administration politique, il put concevoir l’existence de l’élément divin dans la civilisation et devenir le premier citoyen du Commonwealth de l’homme. Selon sa conception, chacun réalise ce Commonwealth pour soi-même et pour ses semblables. ‘Abdu’l-Bahá a inséré dans la vie d’aujourd’hui les vérités sublimes révélées par les prophètes.

Le lecteur occidental ne manquera pas de noter que ‘Abdu’l-Bahá utilisa des passages du Coran comme base de la signification spirituelle de ses thèmes et pour renforcer son appel à la nation islamique de Perse. Comme le Coran est peu connu en Occident, ces passages revêtent une importance secondaire en familiarisant le lecteur occidental avec le Livre saint des peuples arabes et persan en un moment où la compréhension de l’Orient est pour l’Europe et l’Amérique d’une implacable nécessité.

Horace HOLLEY
4 juillet 1956


Introduction à l’édition française

Quand en 1772 le biographe anglais, James Boswell, proposa à son ami, Samuel Johnson, le mot Civilisation pour insérer dans son célèbre Dictionnaire de la langue anglaise, celui-ci refusa sous le prétexte que ce mot était peu connu et mal défini. En effet, ce n'est qu'au 19e siècle que le mot a été défini dans son sens le plus large. Il désigne un ensemble complexe qui comprend les idées professées et les habitudes contractées par l'homme vivant en société.

Du point de vue historique, le commencement de la civilisation correspondrait au début de l'agriculture, de l'élevage systématique des animaux domestiqués, et de la grosse poterie. C'est donc, le début de la société humaine à l'opposé de l'homme chasseur.

Or ce n'est que vers le milieu du 20e siècle que la science a découvert que la civilisation, définie ainsi, a débuté en même temps partout où l'homme a pu cultiver la terre, il y a environ 7000 ans.

Dans la Foi Bahá'íe la civilisation prend une signification extrêmement importante, car son fondateur, le père de l'auteur de ce livre, Bahá'u'lláh a dit dans Ses écrits:

"Tous les hommes ont été créés pour travailler à l'établissement et à l'amélioration croissante de la civilisation; Le Tout-Puissant m'en rend témoignage: agir ainsi que font les bêtes des champs est indigne de l'homme. Les vertus qui conviennent à sa dignité sont la tolérance, la compassion, la miséricorde, et une tendre bonté à l'égard de tous les hommes et de toutes les tribus de la terre. " (Extraits des Écrits CIX, page 198.)

La deuxième partie de cette citation, qui donne l'explication du but de l'existence de l'homme sur cette terre, souligne bien qu'il s'agit de la même définition du mot "CIVILISATION". En effet le terme "bêtes des champs" ne peut être utilisé que pour des animaux domestiqués.

L'un des principes les plus importants de la Foi Bahá'íe est la Révélation progressive de la Vérité Eternelle par une chaîne de Messagers de Dieu. La Volonté Divine est ainsi révélée aux hommes. Ces Messagers sont les fondateurs des grandes Religions monothéistes telles que, dans leur ordre chronologique, Krishna, Moïse, Zoroastre, Bouddha, Jésus-Christ, Muhammad. Les Bahá'ís croient que Bahá'u'lláh est le dernier en date (Sa révélation date de 1863), et que cette chaîne continuera indéfiniment. Chacun d'Eux a révélé la Volonté Divine suivant le degré de compréhension humaine, qui évolue progressivement grâce à l'éducation de l'humanité par Ses Messagers.

Le présent livre nous montre d'une façon lumineuse comment la civilisation humaine doit être à l'échelle universelle et ce qu'elle est devenue aujourd'hui par suite de notre refus de Dieu et de sa révélation. Nous trouvons des démonstrations historiques et leurs analyses. Les solutions préconisées, par la Révélation de Bahá'u'lláh, sont simples et compréhensibles. On s'apercevra qu'elles sont réalisables et que la Civilisation Divine n'est pas une utopie: c'est l'Unité du genre humain avec pour but le bien-être de l'humanité.

Nicolas JANUS
Arlon 1973


[nota : "Le Secret de la Civilisation Divine" a été écrit en persan sans aucune division en chapitres; ce livre en persan a seulement pour titre Civilisation. Pour faciliter, non seulement sa compréhension par le lecteur, mais aussi son étude, et pour s'en servir aisément comme références, l'édition française introduit des sous-titres.]


1. Les moyens donnés à l'Homme pour contribuer à la civilisation

Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux.

(1.1)
Louanges et grâces soient rendues à la Providence qui, parmi les réalités existantes, a choisi la réalité de l’homme et l’a honorée de l’intelligence et de la sagesse, les deux plus brillantes lumières de chaque monde. Par l’entremise de ce grand don, elle a, à chaque époque, projeté de nouvelles et merveilleuses configurations sur le miroir de la création. Si nous considérons objectivement le monde de l’être, il devient apparent que, d’âge en âge, le temple de l’existence a constamment été embelli de grâces nouvelles et a été orné d’une splendeur toujours changeante, venant de la sagesse et du pouvoir de la pensée.

(1.2)
Ce suprême emblème de Dieu occupe la première place dans l’ordre de la création, et, première en grade, possède la préséance sur toutes choses créées. La sainte tradition : « Avant tout, Dieu créa l’esprit », en témoigne. Dès l’aube de la création, il fut formé pour être révélé dans le temple de l’homme.

(1.3)
Saint est le Seigneur qui, par les rayons éblouissants de cette étonnante puissance céleste, a fait de notre monde de ténèbres l’envie des mondes de lumière : « Et la terre brillera de la lumière de son Seigneur. »[voir : Coran, 39.69 - traduction de D. Masson, La Pléiade, Paris, Gallimard, 1967]. Saint et exalté, celui qui a créé la nature de l’homme pour être le printemps de sa grâce infinie : « Le Miséricordieux a fait naître le Coran. Il a créé l’homme ; il lui a appris à s’exprimer ». [voir : Coran, 55.1-4]

(1.4)
Ô vous qui avez des esprits pour connaître ! levez vos mains suppliantes vers le ciel du seul Dieu, humiliez-vous et abaissez-vous devant lui, remerciez-le de ce don suprême et implorez-le de vous secourir afin que, dans l’ère présente, des impulsions divines rayonnent de la conscience de l’homme et que ce feu divin, communiqué au cœur humain, ne s’éteigne jamais.

(1.5)
Considérez attentivement : tous ces phénomènes si variés, ces concepts, ce savoir, ces procédés techniques et ces systèmes philosophiques, ces sciences, ces arts, ces industries et ces inventions, tous sont des émanations de l’esprit humain. Tout peuple qui s’est aventuré au plus profond de cette mer sans rivage a surpassé les autres. Le bonheur et l’orgueil d’une nation consistent en ce qu’elle brille comme le soleil dans le ciel du savoir. « Ceux qui savent et les ignorants sont-ils égaux ? » [voir : Coran 39.9]. Et l’honneur et la distinction de l’individu résident en ceci que, parmi les multitudes du monde, il devienne une source de bien social. Peut-on concevoir un plus grand bienfait que celui-ci : un individu, regardant en lui-même, découvre que, par la grâce fortifiante de Dieu, il est devenu une cause de paix et de bien-être, de bonheur et d’avantage pour ses frères. Non, par le seul vrai Dieu, il n’y a pas de plus grande bénédiction ni de plus complet délice !

(1.6)
Combien de temps encore nous laisserons nous emporter sur les ailes de la passion et des vains désirs ; jusques à quand passerons-nous nos jours, tels des barbares, dans les profondeurs de l’ignorance et de l’abomination ? Dieu nous a donné des yeux pour que nous puissions voir le monde autour de nous et saisir tout ce qui fera progresser la civilisation et les arts de vivre. Il nous a pourvus d’oreilles afin que nous puissions entendre avec profit la sagesse des savants et des philosophes, et nous lever pour la mettre en pratique et la promouvoir. Nous avons été dotés de sens et de facultés pour les vouer au service du bien commun afin que, nous distinguant par rapport à toute autre forme de vie par la perceptivité et la raison, nous puissions travailler en tout temps et de toutes manières, que l’occasion soit grande ou petite, ordinaire ou extraordinaire, jusqu’à ce que l’humanité entière soit à coup sûr rassemblée dans la forteresse imprenable de la connaissance. Nous devons constamment établir de nouvelles bases pour le bonheur humain et créer et promouvoir de nouveaux instruments à cette fin.

(1.7)
Combien excellent, combien honorable est l’homme qui se dresse pour affronter ses responsabilités ; combien misérable et méprisable est celui qui ferme les yeux au bien-être de la société et gaspille sa précieuse vie à la poursuite de ses propres intérêts et de ses avantages personnels. Le bonheur suprême appartient à l’homme et si dans l’arène de la civilisation et de la justice, il éperonne le coursier de ses efforts, il verra les signes de Dieu dans le monde et dans son âme. « Nous leur montrerons bientôt nos signes dans l’univers et en eux-mêmes. » [voir : Coran 41.53]

(1.8)
Et voici la plus grande misère de l’homme : qu’il doive vivre inerte, apathique, insensible, n’attachant d’importance qu’à ses vils appétits. Dans cette condition, son être plongé dans l’ignorance et la sauvagerie, les plus profondes, sombre encore plus bas que la bête. « Voilà ceux qui sont semblables aux bestiaux, ou plus égarés encore... Car les pires des bêtes au regard de Dieu sont les sourds et les muets qui ne comprennent rien. » [voir : Coran 7.179 ; 8.22 ]

(1.9)
Nous devons maintenant prendre la ferme résolution de nous lever pour saisir tous ces moyens servant à promouvoir la paix, le bien-être, le bonheur et la connaissance, la culture et l’industrie, la dignité, la valeur et le rang, de toute l’humanité. Ainsi, par les eaux réparatrices de l’intention pure et de l’effort altruiste, la terre des potentialités humaines fleurira par sa propre excellence interne, s’épanouira en qualités dignes de louanges, fleurira et fructifiera jusqu’à rivaliser avec la roseraie du savoir, appartenant à nos aïeux. Alors, la terre sacrée de Perse deviendra véritablement le foyer des perfections humaines, reflétant comme dans un miroir la panoplie complète de la civilisation mondiale.

(1.10)
Toute louange et gloire soient rendues à la Source de la sagesse divine, l’Aube de la révélation (Muḥammad) et à la sainte lignée de ses descendants, puisque, par la diffusion des rayons de sa sagesse consommée, et par son savoir universel, ces hôtes sauvages de Yathrib (Médine) et Baṭḥá (La Mecque) furent miraculeusement et en si peu de temps tirés des profondeurs de leur ignorance pour s’élever au pinacle du savoir et devenir des centres d’arts, de science et de perfections humaines tels des étoiles de félicité et de civilisation véritable, brillant à l’horizon du monde.


2. La situation en Perse

(2.1)
Actuellement (1875), Sa Majesté le chah a résolu de mettre en œuvre le progrès du peuple persan, son bien-être, sa sécurité, et la prospérité du pays. Il a spontanément prêté assistance à ses sujets, faisant preuve d’énergie et d’équité, espérant que par la lumière de la justice, il pourrait faire de l’Iran l’envie de l’Occident et de l’Orient. Il a permis que cette noble ferveur, caractéristique des premières grandes époques de la Perse, coulât de nouveau dans les veines de son peuple. Comme cela est évident pour l’esprit judicieux, l’auteur a, pour cette raison, cru nécessaire d’émettre, pour l’amour de Dieu et comme contribution à cette grande entreprise, un bref exposé de certaines questions urgentes. Il a tu son nom [nota : le texte original persan écrit en 1875 ne portait aucun nom d’auteur et la première traduction anglaise, publiée en anglais sous le titre, « Les Forces mystérieuses de Civilisation », ne comporte que cette mention : « Écrit en persan par un éminent philosophe bahá’í ».] afin de démontrer que son seul but était de travailler au bien-être général. Puisqu’il croit que montrer la voie de la rectitude est en soi un acte vertueux, il offre ces quelques conseils aux fils de son pays. Il n’a prononcé ces paroles que pour l’amour de Dieu et dans un esprit de fidèle amitié. Notre Seigneur, qui connaît toutes choses, témoigne que ce serviteur ne recherche que ce qui est juste et bon car, errant dans le désert de l’amour de Dieu, il a pénétré dans un royaume où la main du refus ou de l’acceptation, de la louange ou du blâme, ne peut le toucher. « Nous vous nourrissons pour plaire à Dieu seul ; nous n’attendons de vous ni récompense ni gratitude. » [voir : Coran 76.9 ]
« La main est voilée, pourtant la plume écrit tel qu’ordonné ;
Le cheval s’élance, toutefois le cavalier est caché. »

(2.2)
Ô peuple de Perse ! étudie ces pages florissantes qui parlent de jours depuis longtemps révolus. Lis-les et émerveille-toi ; vois le grand spectacle. En ce temps-là, l’Iran était comme le cœur du monde ; c’était une brillante torche brûlant dans l’assemblée de l’humanité. Sa puissance et sa gloire éclairaient comme l’aube les horizons du monde, et la splendeur de son savoir projetait ses rayons sur l’Orient et l’Occident. La nouvelle du vaste empire de ceux qui portaient sa couronne atteignit même les habitants du cercle arctique, et la renommée de l’imposante personnalité de son Roi des rois humilia les dirigeants de la Grèce et de Rome. Les plus grands philosophes du monde s’émerveillèrent de la sagesse de son gouvernement et son système politique devint un modèle pour tous les rois des quatre continents alors connus. Elle se distinguait des autres nations par l’étendue de son empire et était honorée par tous pour sa culture et sa civilisation dignes d’éloges. Semblable au pivot du monde, elle était à la fois la source et le centre des sciences et des arts, l’inspiratrice des grandes inventions et des découvertes, la riche mine de vertus et de perfections humaines. L’intelligence et la sagesse des individus composant cette nation par excellence, éblouissaient l’esprit des autres peuples, le lustre et le génie perceptif qui caractérisait toute cette noble race soulevait l’envie du monde entier.

(2.3)
En plus de toutes ces choses consignées dans l’histoire de la Perse, il est dit dans l’Ancien Testament - présentement considéré par les peuples européens comme un texte sacré et canonique - qu’au temps de Cyrus, appelé Bahman, fils d’Isfandiyar, dans les écrits iraniens, les 360 districts de l’Empire persan s’étendaient des confins les plus reculés de l’Inde et de la Chine aux lointaines limites du Yémen et de l’Ethiopie [voir : Chroniques II 36.22-23 ; Esdras 1.2 ; Ester 1.1 et 8.9 ; Ésaïe, 45.1-14 ; 49.12]. Les récits des Grecs mentionnent aussi comment ce fier souverain les affronta avec une armée innombrable et fit mordre 1a poussière à leur empire jusqu’alors victorieux. Il fit trembler les piliers de tous les gouvernements et, selon l’histoire de ‘Abdu’l-Fidá, ouvrage arabe faisant autorité, il s’empara de tout le monde alors connu. On raconte aussi dans ce texte et ailleurs que Firaydún, roi de la dynastie des Pishdádíyán (qui par ses perfections innées, sa capacité de jugement, l’étendue de son savoir et la longue série de ses victoires continuelles, était unique parmi les gouvernants qui le précédèrent ou vinrent après lui) répartit le monde alors connu entre ses trois fils.

(2.4)
Ainsi que l’affirment les annales des peuples les plus illustres, le Trône et la Couronne de Perse furent le premier gouvernement établi sur la terre et le premier empire organisé parmi les nations.

(2.5)
Ô peuple de Perse ! réveille-toi de l’ivresse de ton sommeil et sors de ta léthargie ! Sois équitable dans ton jugement : les lois de l’honneur permettront-elles que cette terre sacrée, jadis fontaine de la civilisation mondiale, source de gloire et de joie pour l’humanité entière, convoitée par l’Orient et l’Occident, demeure un objet de pitié pour toutes les nations ? Elle fut la plus noble, laisserez-vous l’histoire contemporaine enregistrer, pour les temps à venir, sa dégénérescence actuelle ? Accepterez-vous complaisamment sa misère présente alors qu’elle fut jadis l’objet des désirs de l’humanité entière ? Doit-elle maintenant, à cause de cette méprisable indolence, de ce manque d’ardeur au combat, de cette ignorance grossière, être considérée comme la plus arriérée des nations ?

(2.6)
Les Persans n’étaient-ils pas, dans les temps révolus, au premier rang et à l’avant-garde de l’intelligence et de la sagesse ? Ne brillaient-ils pas, par la grâce de Dieu, comme l’étoile du matin à l’horizon du divin savoir ? Comment se fait-il que nous nous enlisions dans nos passions licencieuses, que nous restions aveugles au bonheur suprême et à ce qui est équitable aux yeux de Dieu, que nous nous laissions absorber par nos intérêts égoïstes et la poursuite de vils avantages personnels ?

(2.7)
Cette terre, la plus belle de toutes, fut jadis une lampe diffusant les rayons du divin savoir, de la science et des arts, de la noblesse et des hautes réalisations, de la sagesse et de la valeur. Aujourd’hui, à cause de la paresse et de la léthargie de son peuple, de sa torpeur et de sa vie indisciplinée, de son manque de fierté et d’ambition, son brillant avenir à été totalement éclipsé, et sa lumière s’est changée en ténèbres. « Les sept cieux et les sept terres s’abattirent sur le puissant lorsqu’il fut jeté à terre ».

(2.8)
On ne doit pas s’imaginer que le peuple de Perse est irrémédiablement déficient en intelligence ou qu’il est inférieur aux autres en perception et en compréhension, en sagacité innée, en intuition et en sagesse, ou en capacités naturelles. Dieu nous en garde ! Au contraire, il a toujours excellé par ses dons innés. De plus, la Perse, du point de vue de son climat tempéré, de ses beautés naturelles, de ses avantages géographiques et de la richesse de son sol, est bénie au suprême degré. Cependant, ce dont elle a un urgent besoin c’est d’une réflexion profonde, d’une action ferme, d’entraînement, d’inspiration et d’encouragement. Son peuple doit faire un effort collectif et sa fierté doit être ranimée.

(2.9)
Aujourd’hui, parmi les cinq continents du globe, c’est l’Europe et la plus grande partie de l’Amérique qui sont renommées pour l’ordre et la loi, le gouvernement et le commerce, l’art et l’industrie, la science, la philosophie et l’éducation. Pourtant, dans les temps anciens, elles étaient peuplées des populations les plus sauvages, les plus ignorantes et les plus brutales du monde. Elles étaient même qualifiées de « barbares », c’est-à-dire, complètement incultes et non civilisées. De plus, du Ve au XVe siècles, pendant la période dite du Moyen Age, de si terribles batailles, des soulèvements si sauvages, de si impitoyables combats et des actions si effroyables furent de règle chez ces peuples d’Europe que les Européens qualifient à juste titre ces dix siècles « d’âge des ténèbres ». En fait, les bases du progrès et de la civilisation de l’Europe furent jetées au XVe siècle de l’ère chrétienne et, depuis lors toute sa présente culture s’est développée sous l’aiguillon de grands esprits et par l’effet de l’élargissement des frontières du savoir et de la mise en action d’efforts énergiques et ambitieux.

(2.10)
De nos jours, par la grâce de Dieu et sous l’influence spirituelle de sa Manifestation universelle, l’équitable chef de l’Iran a rassemblé son peuple sous l’abri de la justice, et la sincérité du dessein impérial a été démontrée par des actes princiers. Dans l’espoir que son règne rivalisera avec le glorieux passé, il s’est efforcé d’établir dans ce noble pays tout entier l’équité et la droiture, de promouvoir l’éducation et la civilisation et de transposer en réalités les potentialités qui assureront son progrès. Jamais auparavant nous n’avions vu un monarque, tenant dans ses mains habiles les rênes du pouvoir et dont la ferme résolution garantirait le bien-être de tous ses sujets, appliquer, comme il convient, tel un père magnanime, tous ses efforts en vue de la formation et de la culture de son peuple, cherchant à assurer son bien-être et sa tranquillité d’esprit et s’intéressant à son sort. Ce serviteur et ses semblables avaient par conséquent gardé le silence. Maintenant, toutefois, il apparaît aux esprits judicieux que le chah a résolu d’établir un gouvernement juste et d’assurer le bien-être de tous ses sujets. Son intention honorable a donc provoqué la présente déclaration.

(2.11)
Certes, il est étrange qu’au lieu d’être reconnaissants de ce grand bienfait qui découle vraiment de la grâce du Tout-Puissant, de se lever comme un seul homme avec enthousiasme et gratitude, en priant afin que ces nobles buts se multiplient journellement, quelques-uns, au contraire, dont la raison a été corrompue par des motifs personnels et dont la clarté de perception a été assombrie par l’intérêt égoïste et la fatuité ; quelques-uns dont les énergies sont vouées au service de leurs passions, dont la fierté est pervertie par l’amour du pouvoir, aient levé la bannière de l’opposition et clamé hautement leurs griefs. Jusqu’ici, ils ont blâmé le chah de ne pas avoir travaillé de sa propre initiative, au bien-être de son peuple et de ne pas avoir cherché à lui donner la paix et le confort. Maintenant qu’il s’est appliqué à cette grande tâche, ils ont changé d’attitude. Certains disent que ce sont des méthodes d’un modernisme outré et des « ismes » étrangers n’ayant aucun rapport avec les besoins actuels et les nobles coutumes ancestrales de la Perse. D’autres ont rallié les masses hébétées qui ne connaissent rien de la religion, de ses lois et principes de base, et sont donc incapables de discrimination, et leur ont dit que ces méthodes modernes sont des pratiques païennes, contraires aux vénérables canons de la vraie foi en ajoutant cet adage : « Celui qui imite un peuple est l’un d’eux ». Un groupe prétend que de telles réformes devraient être appliquées avec grande prudence et, pas à pas, la hâte en cette matière étant inadmissible. Un autre soutient que l’on ne devrait adopter que les mesures imaginées par les Persans eux-mêmes, qu’ils devraient réformer eux-mêmes leur administration politique, leur système d’éducation et leur culture et qu’il n’est pas nécessaire d’emprunter ces améliorations à d’autres nations. Bref, chaque faction suit ses propres illusions particulières.

(2.12)
Ô peuple de Perse ! combien longtemps encore erreras-tu ? Quelle doit être la durée de ta confusion ? Combien de temps dureront ces conflits d’opinions, cet antagonisme stérile, cette ignorance, ce refus de penser ? D’autres sont vigilants alors que nous dormons d’un sommeil sans rêve. D’autres nations font tous les efforts pour améliorer leur condition alors que nous sommes pris au piège de nos désirs et de nos complaisances personnelles et butons à chaque pas dans un nouveau filet.


3. La nécessité d'une évolution matérielle et sociale

(3.1)
Dieu nous est témoin que nous n’avons aucune arrière-pensée en développant ce thème. Nous ne cherchons ni à nous insinuer dans les faveurs de quelqu’un ni à attirer qui que ce soit vers nous, ni à en retirer un quelconque bénéfice. Nous désirons seulement et ardemment le bon plaisir de Dieu car nous avons détourné notre regard du monde et de ses peuples et nous avons cherché refuge dans la sollicitude protectrice du Seigneur. « Je ne vous en demande aucun salaire pour cela... mon salaire n’incombe qu’à Dieu. » [voir : Coran 6.90 et 11.29]

(3.2)
Ceux qui maintiennent que ces concepts modernes ne s’appliquent qu’aux pays étrangers et n’ont aucune valeur en Iran, qu’ils ne satisfont pas ses besoins ou ne s’accordent pas à son mode de vie, oublient que ces autres nations furent jadis comme nous sommes maintenant. Ces systèmes et ces procédés nouveaux, ces entreprises progressistes, n’ont-ils pas contribué à l’avancement de ces pays ? Les peuples d’Europe furent-ils lésés par l’adoption de telles mesures ? Ou n’ont-ils pas plutôt atteint, par ces moyens, au suprême degré du développement matériel ? N’est-il pas exact que, pendant des siècles, le peuple de Perse a vécu comme nous le voyons vivre aujourd’hui, en répétant les pratiques du passé ? Des bienfaits visibles en ont-ils résulté ? Un quelconque progrès en est-il sorti ? Si ces choses n’avaient pas subi l’épreuve de l’expérience, certains, dans l’esprit desquels la lumière de la saine intelligence a été voilée, pourraient le demander sottement. Or, tous les aspects de la nécessité du progrès furent au contraire maintes fois éprouvés dans d’autres pays et leurs bienfaits si clairement démontrés que même l’esprit le plus lourd peut les saisir.

(3.3)
Considérons la question équitablement et sans parti pris, demandons-nous lequel de ces principes fondamentaux et de ces procédés sûrs et bien établis pourrait ne pas satisfaire à nos besoins actuels, ou serait incompatible avec les plus grands intérêts politiques de la Perse, ou encore nuirait au bien-être général de son peuple. L’extension de l’éducation, le développement des arts et des sciences, la promotion de l’industrie et de la technologie, seraient-ils choses nuisibles ? Car de tels efforts élèvent l’individu au-dessus de la masse et le tirent des profondeurs de l’ignorance vers les plus hautes cimes du savoir et de l’excellence humaine. L’instauration d’une législation équitable, en accord avec les lois divines qui garantissent le bonheur de la société, protège les droits de l’humanité et sont un indéfectible bouclier contre l’agression ; une telle législation, assurant l’intégrité des membres de la société et leur égalité devant la loi, gênerait-elle leur prospérité et leur succès ?

(3.4)
Ou bien si, grâce à ses propres facultés de perception, l’on tire la leçon des circonstances actuelles et des conclusions de l’expérience collective, et l’on envisage comme de prochaines réalités des situations aujourd’hui potentielles, serait-il déraisonnable de prendre actuellement les mesures qui garantiraient notre sécurité future ? Serait-il imprévoyant et malsain, serait-ce dévier de ce qui est juste et bien que de renforcer nos relations avec les pays avoisinants, de signer des traités avec les grandes puissances, d’entretenir des rapports amicaux avec les gouvernements bien disposés à notre égard, de travailler à l’expansion de notre commerce avec les pays orientaux et occidentaux, de développer nos ressources naturelles et d’augmenter la richesse de notre peuple ?

(3.5)
Cela entraînerait-il la perte de nos sujets si les gouverneurs provinciaux et régionaux étaient démis de leur présente autorité absolue, leur permettant d’agir à leur guise, et s’ils devaient plutôt s’en tenir à la justice et à la vérité, si leurs sentences, comportant la peine capitale, l’emprisonnement, etc., nécessitaient la confirmation du chah et des plus hautes cours de justice de la capitale, lesquelles effectueraient préalablement une enquête approfondie du cas, détermineraient la nature et la gravité du crime, puis, rendraient un jugement équitable, à confirmer par un décret du souverain ? Les « pots-de-vin » et la « corruption », aujourd’hui connus sous les noms plaisants de « cadeaux » et « faveurs », étant à jamais exclus, serait-ce une menace pour les fondements de la justice ? Serait-ce une preuve d’insanité que de libérer les soldats de leur misère et de leur indigence extrêmes, eux qui, vivants sacrifices envers l’État et le peuple, affrontent la mort à chaque instant, de prendre les dispositions nécessaires à leur subsistance, leur habillement et leur logement et de s’efforcer d’instruire leurs officiers dans la science militaire en leur fournissant les armements les plus modernes ?

(3.6)
Si quelqu’un objectait que les réformes précitées n’ont jamais été pleinement appliquées, il devrait considérer la question impartialement et savoir que ces déficiences ont résulté de l’absence totale d’une opinion publique concertée, et du manque de zèle, de résolution et de dévouement des dirigeants nationaux. Il est évident, que, tant que le peuple ne sera pas éduqué, tant que l’opinion publique ne sera pas bien informée, tant que les membres du gouvernement, y compris les moins importants, ne se libéreront pas de la moindre trace de corruption, le pays ne sera pas administré comme il convient. Tant que la discipline, l’ordre et la bonne administration n’auront pas atteint le niveau où un individu, même s’il doit y mettre tous ses efforts, sera incapable de dévier d’un cheveu du droit chemin, les réformes désirables ne pourront être considérées comme pleinement établies.

(3.7)
De plus, toute organisation, fut-elle l’instrument du plus grand bien de l’humanité, est susceptible d’être mal utilisée. Son bon ou son mauvais usage dépend des divers degrés de connaissance, de capacité, de foi, d’honnêteté, de dévouement et d’élévation d’esprit des dirigeants de l’opinion publique.


4. Les rangs dans la société

(4.1)
Le chah a certainement fait son devoir et l’exécution des mesures bénéfiques proposées est maintenant aux mains de personnes opérant en assemblée consultative. Si ces individus font preuve de pureté et d’élévation d’esprit, s’ils restent libres de la souillure de la corruption, les confirmations de Dieu feront d’eux une source intarissable de bienfaits pour l’humanité. Il permettra que coule de leurs lèvres et de leur plume ce qui fera le bonheur du peuple, afin que chaque partie de ce noble pays d’Iran soit illuminée de leur justice et de leur intégrité et que les rayons de cette lumière éclairent la terre tout entière. « Cela n’est pas difficile pour Dieu ». [voir : Coran 35.18]

(4.2)
Autrement, il est clair que les résultats se révèleront défavorable. Car, on a pu constater dans certains pays étrangers qu’après l’instauration de parlements, ceux-ci affligèrent et troublèrent le peuple, et que leurs réformes bien intentionnées produisirent des effets maléfiques. Pour que l’institution d’un parlement soit le fondement et l’assise d’un gouvernement, ces institutions doivent satisfaire à plusieurs exigences. D’abord, ses membres doivent pratiquer la justice, craindre Dieu, être d’esprit élevé et incorruptibles. Deuxièmement, ils doivent connaître pleinement, dans chaque détail, les lois de Dieu, être informés des plus hauts principes de la loi, être versés dans les règlements qui régissent la conduite des relations extérieures, être versés dans les arts utiles à la civilisation et satisfaits de leurs émoluments légitimes.

(4.3)
N’allons pas nous imaginer que de tels membres sont introuvables ! Toute difficulté peut être surmontée et tout problème, quelle que soit sa complexité, peut être résolu en un clin d’œil par la grâce de Dieu et de ses élus, et par les efforts de ceux qui s’y sont voués et consacrés.

(4.4)
Cependant, si les membres de ces assemblées consultatives sont médiocres, incultes et ignorants des lois du gouvernement et de l’administration ; s’ils se montrent imprudents, vils, indifférents, oisifs et égoïstes, aucun bienfait ne peut résulter de la formation d’un tel organisme. Alors que dans le passé, lorsqu’un pauvre revendiquait ses droits, il n’avait qu’à offrir un cadeau à un individu ; maintenant, il devrait ou bien renoncer à tout espoir d’obtenir justice ou bien combler l’assemblée entière de cadeaux.

(4.5)
Une enquête serrée démontrera que la première cause d’oppression, d’injustice, de malhonnêteté, d’irrégularité et de désordre est le manque de foi religieuse et l’absence d’éducation des gens. Quand, par exemple, les gens sont sincèrement pieux, éduqués, instruits et qu’une difficulté se présente, ils peuvent s’adresser aux autorités locales. S’ils n’y trouvent pas la justice et la reconnaissance de leurs droits et s’ils voient que la conduite du gouvernement local n’est pas en harmonie avec le bon plaisir divin et la justice royale, ils peuvent présenter leur cause devant des Cours supérieures et décrire les manquements apportés par l’administration locale à la loi spirituelle. Ces Cours peuvent alors exiger la remise du dossier local et ainsi justice sera faite. Présentement, toutefois, à cause d’une scolarité inadéquate, la majeure partie de la population ne possède même pas le vocabulaire nécessaire pour expliquer ce qu’elle veut.

(4.6)
À propos de ces personnes qui, ici et là, sont considérées comme des chefs de file, disons que comme nous ne sommes encore qu’au début d’un nouveau système administratif, leur éducation n’est pas encore assez avancée pour qu’ils aient éprouvé le plaisir de dispenser la justice, goûté la joie de promouvoir la droiture ou bu à la fontaine d’une conscience propre et d’une intention sincère. Ils n’ont pas vraiment compris que le suprême honneur de l’homme et son véritable bonheur résident dans le respect de lui-même, les grandes résolutions et les nobles buts, dans l’intégrité, les qualités morales et dans la pureté d’intentions. Ils ont plutôt imaginé que leur grandeur résidait dans l’accumulation de biens matériels, quels que soient les moyens utilisés.

(4.7)
L’homme devrait s’arrêter, réfléchir et être juste : par une faveur sans mesure, son Seigneur l’a fait être humain et l’a honoré de ces mots : « Oui, nous avons créé l’homme dans la forme la plus parfaite » [voir : Coran 95.4], et avons fait que sa miséricorde, qui émerge de l’aurore de l’unité, l’illumine jusqu’à ce qu’il devienne la fontaine des paroles de Dieu et le lieu où descendent les mystères du ciel afin qu’au matin de la création, il soit couvert par les rayons des vertus de perfection et des grâces de la sainteté. Comment peut-il souiller ce vêtement immaculé de la boue des désirs égoïstes ou échanger cet honneur éternel contre l’infamie ? « Ne penses-tu être qu’une forme chétive alors que l’univers tient en toi ». [nota : L’Imám ‘Alí]

(4.8)
Si ce n’était notre intention d’être bref et de développer notre premier sujet, nous établirions ici un résumé des thèmes du monde divin, concernant la réalité de l’homme, son haut rang et la valeur insurpassable du genre humain. Que ce soit en d’autres circonstances.

(4.9)
Le plus haut rang, la sphère suprême, la position la plus noble et la plus sublime de la création, visible ou invisible, alpha ou oméga, appartient aux prophètes de Dieu, nonobstant le fait que, apparemment, ils ne semblaient posséder que leur propre pauvreté. De la même manière, une gloire ineffable attend les Saints et ceux qui sont les plus proches du Seuil de Dieu, bien que de telles personnes n’aient un seul instant été concernées par des profits matériels. Viennent ensuite ces rois justes dont la renommée de protecteurs du peuple et de dispensateurs de la justice divine a rempli le monde, et dont le titre de puissants champions des droits du peuple a résonné par toute la création. Ceux-ci ne pensent aucunement à amasser d’énormes fortunes pour eux-mêmes ; ils croient plutôt que leur propre richesse consiste à enrichir leurs sujets. Pour eux, si chaque citoyen possède l’aisance et la tranquillité, les coffres royaux sont remplis. Ils ne tirent gloire ni de l’or ni de l’argent, mais de leur esprit éclairé et de leur détermination à réaliser le bien universel.

(4.10)
Viennent alors ces honorables ministres et représentants de l’État qui placent la volonté de Dieu au-dessus de la leur et dont l’adresse et la sagesse administratives dans la direction de leur office élèvent la science du gouvernement vers de nouvelles cimes de perfection. Ils brillent comme des lampes de savoir dans le monde des sages ; leur pensée, leurs attitudes et leurs actions démontrent leur patriotisme et leur intérêt pour le progrès du pays. Satisfaits d’un traitement modeste, ils consacrent leurs jours et leurs nuits à remplir leurs importants devoirs et à imaginer des mesures assurant le progrès de leur peuple. Par l’efficacité de leurs conseils et la sûreté de leur jugement, ils permirent toujours à leur gouvernement d’être un exemple pour tous les gouvernements du monde. Ils ont fait de leur capitale un centre de grandes entreprises mondiales et se sont distingués en atteignant au suprême degré de célébrité et en parvenant aux plus hautes sphères de la réputation et de la renommée.

(4.11)
Il y a aussi ces hommes de sciences renommés et accomplis, possesseurs d’éminentes qualités et d’une vaste érudition, soutenus fermement par le puissant appui de la crainte de Dieu et suivant la voie du salut. Les réalités transcendantales se réfléchissent dans le miroir de leur pensée et la lampe de leur vision intérieure tire sa lumière du soleil de savoir universel. Jour et nuit, ils s’occupent à des recherches méticuleuses dans les sciences bénéfiques à l’humanité et ils se dévouent à la formation d’étudiants capables. Il est certain que selon leur goût, les trésors des rois ne peuvent se comparer à une seule goutte des eaux de la connaissance et que des montagnes d’or et d’argent ne peuvent rivaliser avec l’heureuse solution d’un problème ardu. Pour eux, les plaisirs offerts en dehors de leur travail ne sont que des jouets d’enfants et la charge encombrante des biens inutiles ne semble bonne qu’aux ignorants et aux âmes viles. Contents de peu, comme l’oiseau, ils se satisfont d’une poignée de grain et le chant de leur sagesse éblouit les esprits les plus sages du monde.

(4.12)
De plus, nous rencontrons également les chefs sagaces du peuple et les personnalités influentes du pays qui constituent les piliers de l’État. Leur rang et leur succès dépendent du fait qu’ils souhaitent le bien du peuple et qu’ils recherchent les moyens d’améliorer la nation et d’accroître la richesse et le confort des citoyens.

(4.13)
Voyez le cas où un individu est un personnage éminent dans son pays, zélé, sage, de cœur pur, connu pour ses aptitudes innées, son intelligence, sa perspicacité naturelle, et est aussi un membre important de l’État. Pour un tel homme, qu’est-ce qui peut être considéré comme l’honneur, le bonheur durable, le rang et la condition dans cette vie ou dans l’autre ? Est-ce une attention diligente à la vérité et à la droiture, est-ce le dévouement et la consécration au bon plaisir de Dieu, est-ce le désir de s’attirer la considération des gouvernants et de mériter l’approbation du peuple ? Ou bien, nuirait-il plutôt à son pays le jour et briserait-il le cœur de son peuple dans le but de s’adonner aux fêtes sont ceux qui n’ont jamais bu les eaux cristallines de ces bienfaits propres au royaume de l’homme ? et à la débauche la nuit, forçant son Dieu à le rejeter, son souverain à l’exiler et son peuple à le diffamer et à le tenir dans un mépris mérité ? Par Dieu, les os qui s’effritent au cimetière sont préférables a de tels hommes ! De quelle valeur


5. Qualités des représentants élus

(5.1)
Il est indiscutable que l’objet de l’établissement de parlements est d’instaurer la justice et la droiture mais tout dépend des efforts des représentants élus. Si leurs intentions sont sincères, les résultats souhaités et des améliorations imprévues s’ensuivront ; sinon, il est certain que tout sera dénué de sens, que le pays stagnera et que les affaires publiques se détérioreront constamment. « Je constate que mille constructeurs n’égalent pas un destructeur ; que dire alors d’un constructeur suivi de mille destructeurs ? »

(5.2)
Le but de l’énoncé qui précède est de démontrer, pour le moins, que le bonheur, la grandeur, le rang, le plaisir et la paix d’un individu n’ont jamais résidé dans sa propre richesse mais dans l’excellence de son caractère, sa ferme résolution, l’étendue de son savoir et son aptitude à résoudre des problèmes ardus. Combien justes étaient ces paroles : « Je porte un vêtement qui, fut-il vendu pour un sou, ce sou vaudrait beaucoup plus ; mais sous ce vêtement est une âme qui, si tu la comparais à toutes les âmes du monde, se révélerait plus grande et plus noble. »

(5.3)
De l’avis du présent auteur, il serait préférable que l’élection de membres non permanents aux assemblées consultatives des États souverains dépende de la volonté et du choix du peuple. Car, les représentants élus seraient ainsi plus enclins à pratiquer la justice sous peine de voir pâtir leur réputation et d’encourir la défaveur publique.

(5.4)
Il ne faudrait pas s’imaginer que la précédente remarque de l’auteur constitue une dénonciation de la richesse ou un éloge de la pauvreté. La richesse est louable au plus haut point si elle est acquise par l’effort personnel d’un individu et avec la grâce de Dieu, dans le commerce, l’agriculture, l’art et l’industrie et si elle est employée à des buts philanthropiques. Surtout si un individu, judicieux et plein de ressources, inaugurait des mesures qui enrichiraient universellement les masses, il ne pourrait exister de plus grande entreprise et elle serait, aux yeux de Dieu, la réalisation suprême ; car un tel bienfaiteur rencontrerait les besoins et assurerait le confort et le bien-être d’une grande multitude. La richesse est très louable pour autant que toute la population en profite. Si, toutefois, quelques-uns sont extrêmement riches alors que les autres sont misérables, et qu’aucun fruit ni bénéfice ne découle de cette richesse, elle n’est alors qu’un danger pour son possesseur. Si, d’autre part, elle sert à promouvoir le savoir, à fonder des écoles élémentaires et autres, à encourager les arts et l’industrie, à éduquer le pauvre et l’orphelin - bref, si elle est consacrée au bien-être de la société - son possesseur se distinguera devant Dieu et les hommes comme le plus excellent de tous ceux qui sont sur la terre et sera considéré comme l’un de ceux qui peuplent le paradis.


6. La nécessité du progrès

(6.1)
Quant à ceux qui maintiennent que l’instauration de réformes et la mise en place d’institutions puissantes seraient, en réalité, contraires au bon plaisir de Dieu, contreviendraient aux ordonnances du Législateur divin, s’opposeraient aux principes religieux fondamentaux et aux méthodes des prophètes, qu’ils réfléchissent : comment il pourrait en être ainsi. De telles réformes enfreindraient-elles la loi religieuse parce qu’elles viendraient des étrangers et nous rendraient comme eux, puisque « Celui qui imite un peuple est l’un d’eux » ? Tout d’abord, ces matières se rattachent à l’appareil temporel et matériel de la civilisation, aux réalisations scientifiques, aux accessoires du progrès dans les professions et les arts et à la conduite ordonnée du gouvernement. Elles n’ont absolument rien à voir avec les problèmes spirituels et les réalités complexes de la doctrine religieuse. Si l’on objecte que même dans le cas de questions matérielles l’importation étrangère est inadmissible, une telle argumentation ne peut que prouver l’ignorance et l’absurdité de ses tenants. Ont-ils oublié le célèbre ḥadith (Sainte Tradition) : « Recherche le savoir, même jusqu’en Chine » ? Il est certain que les Chinois sont, aux yeux de Dieu, parmi les plus réprouvés des hommes car ils sont idolâtres et oublieux du Seigneur omniscient. Les Européens sont, au moins, « Des peuples du Livre », croyant en Dieu, et concernés spécifiquement par le verset : « Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent “Oui, nous sommes chrétiens” » [voir : Coran 5.82]. Il est donc très permis et, certes, plus approprié d’acquérir le savoir des pays chrétiens. Comment la recherche du savoir chez les païens pourrait-elle être agréable à Dieu, et la recherche chez les Peuples du Livre lui être désagréable ?

(6.2)
De plus, lors de la bataille des Confédérés, Abú-Sufyán s’assura l’aide du Baní Kinánih, du Bani Qahtan et du Baní juif Qurayzih et se leva avec toutes les tribus de Quraysh pour éteindre la Lumière divine qui brûlait dans la lampe de Yathrib (Médine). En ces jours, les grands vents de l’épreuve et de l’affliction soufflaient de toutes les directions, comme il est écrit : « Les hommes pensent-ils qu’on les laissera dire “Nous croyons !”, sans les éprouver ? » [voir : Coran 29.2]. Les croyants étaient peu nombreux et l’ennemi attaquait en force, cherchant à cacher le Soleil de vérité nouvellement levé sous la poussière de l’oppression et de la tyrannie. Alors Salman (le persan) se présenta devant le Prophète - l’Aube de la révélation, le Centre des infinies splendeurs de la grâce - et dit qu’en Perse, afin de se protéger contre l’avance ennemie, les défenseurs creusaient une douve ou tranchée autour de leurs positions et que ceci s’était avéré une sauvegarde hautement efficace contre les attaques surprises. Cette Fontaine d’universelle sagesse, cette Mine de divin savoir, répondit-elle que c’était là une coutume courante chez les idolâtres, les mages adorateurs du feu et, de ce fait, pouvait difficilement être adoptée par des monothéistes ? Ou, plutôt, ne commanda-t-il pas immédiatement à ses disciples de creuser une tranchée ? Et même sa Personne bénie se saisit des outils et vint travailler à leurs côtés.

(6.3)
De plus, il est mentionné dans les livres des différentes écoles islamiques et dans les écrits des grands religieux et historiens qu’après que la Lumière du monde se fut levée sur Ḥijáz, inondant l’humanité entière de son éclat et créant, par la révélation d’une nouvelle Loi divine, de nouveaux principes et de nouvelles institutions ainsi qu’un changement profond à travers le monde - de saintes lois furent révélées qui, en certains cas, étaient conformes aux pratiques des jours d’ignorance [nota : Jáhilíyyih : période de paganisme en Arabie, antérieure à la venue de Muḥammad]. Parmi celles-ci, Muḥammad respecta les mois de trêve religieuse, maintint la prohibition de la viande de porc, prorogea l’usage du calendrier lunaire, les noms des mois, etc. Il existe un nombre considérable de telles lois énumérées dans les textes. [nota : « mois de trêve » - les Arabes païens observaient un seul mois, puis trois mois consécutifs, de trêve, pendant lesquels avaient lieu les pèlerinages à La Mecque et les foires ; des concours de poésie et autres évènements similaires étaient également organisés]

(6.4)
« Le peuple des jours d’ignorance s’adonnait à plusieurs pratiques que la Loi de l’islam confirma plus tard. Ils n’épousaient pas à la fois la mère et la fille et l’action la plus honteuse était pour eux d’épouser deux sœurs. Ils stigmatisaient l’homme qui épousait la femme de son père, l’appelant par dérision le rival de son père. C’était la coutume que d’aller en pèlerinage à la Maison de la Mecque où ils accomplissaient les cérémonies de visitation, revêtant la robe du pèlerin, pratiquant la circumambulation, courant entre les collines, s’arrêtant à toutes les étapes et lançant les pierres. De plus, ils avaient l’habitude d’intercaler un mois dans chaque période de trois ans, de faire des ablutions après les rapports sexuels, de se rincer la bouche et d’inhaler de l’eau par les narines, de séparer leurs cheveux, d’employer le cure-dent, de rogner leurs ongles et d’épiler leurs aisselles. Et, aussi, de couper la main droite d’un voleur. »

(6.5)
Peut-on soutenir - Dieu nous en garde - que certaines lois sont mauvaises parce que ces lois divines ressemblent aux pratiques des jours d’ignorance et aux coutumes d’un peuple abhorré par toutes les nations ! Dieu nous préserve d’imaginer que le Seigneur tout puissant fut poussé à se conformer aux avis des païens ! La sagesse divine prend plusieurs formes. Aurait-il été impossible à Muḥammad de révéler une Loi qui ne ressembla en rien aux pratiques courantes de ces jours d’ignorance ? Le dessein de sa sagesse consommée était plutôt de libérer le peuple des chaînes du fanatisme qui l’avaient entravé pieds et poings et de prévenir ces objections mêmes qui, de nos jours, troublent l’esprit et bouleversent la conscience des simples et des faibles.

(6.6)
Certains, insuffisamment informés de la signification des textes divins et du contenu de l’histoire traditionnelle et écrite, affirmeront que ces coutumes des jours d’ignorance étaient des lois transmises par Sa Sainteté Abraham et conservées par les idolâtres. Ils citeront à cet effet ce verset du Coran : « Suis la Religion d’Abraham, un vrai croyant. » [voir : Coran 16.123]. Néanmoins, c’est un fait attesté par les écrits de toutes les écoles islamiques que les mois de trêve, le calendrier lunaire et la coutume de couper la main droite en punition d’un vol, ne faisaient pas partie de la loi d’Abraham. De toute façon, le Pentateuque, contenant les lois d’Abraham, existe et peut être consulté. Ils n’ont qu’à s’y référer. Alors, ils maintiendront, sans aucun doute, que la Torah a été falsifiée et citeront en preuve ce verset du Coran : « Certains juifs altèrent les paroles révélées. » [voir : Coran 4.45 et 5.16]. Nous savons toutefois comment ces distorsions se produisirent ; elles furent d’ailleurs notées dans les textes critiques et les commentaires [voir : “Kitáb-i-Íqán” (Livre de la certitude) de Bahá’u’lláh]. Mais, si nous devions développer ce sujet au-delà de cette brève mention, nous devrions délaisser notre but présent.

(6.7)
Selon certains comptes-rendus, l’humanité fut poussée à emprunter différentes qualités et façons des animaux sauvages et d’en tirer des leçons. Puisqu’il est permis d’imiter les vertus des bêtes, il l’est certainement d’autant plus d’emprunter les sciences et techniques matérielles des peuples étrangers qui, au moins, appartiennent au genre humain et se distinguent par le jugement et le pouvoir de leurs propos. Et si l’on prétend que ces qualités louables sont innées chez les animaux, par quelles preuves peuvent-ils soutenir que ces principes essentiels de civilisation, ce savoir et ces sciences, courants chez les autres peuples, ne sont pas innés ? Y a-t-il un Créateur hormis Dieu ? Dis : Loué soit Dieu !

(6.8)
Les religieux les plus érudits et les plus parfaits, les savants les plus distingués, ont étudié avec diligence ces branches du savoir dont les philosophes grecs, tels Aristote et les autres, sont la source et l’origine, et ont considéré comme très valable l’acquisition, par les textes grecs, de sciences telles que la médecine et certaines branches des mathématiques, incluant l’algèbre et l’arithmétique. Chacun des éminents religieux étudie et enseigne la logique bien qu’il considère que son fondateur fut un Sabéen. La plupart d’entre eux assurent que, si un savant a entièrement maîtrisé une variété de sciences mais n’a pas une logique bien établie, on ne peut se fier entièrement à ses opinions, déductions et conclusions.
[nota : « algèbre » - “Si par le mot ‘algèbre’ nous entendons cette branche des mathématiques par laquelle nous apprenons à résoudre l’équation X2 + 5x = 14, ainsi écrite, la science débute au 17e siècle. Si nous admettons que l’équation soit écrite avec des symboles différents et moins commodes, on peut considérer qu’elle débuta au moins aussi tôt que le IIIe siècle. Si nous lui permettons d’être énoncée en paroles et résolue, dans les cas simples de racines positives, avec l’aide de figures géométriques, cette science était connue d’Euclide et de l’école alexandrine, 300 ans avant le Christ. Si nous acceptons le jugé plus ou moins scientifique dans la recherche de la solution, on peut dire que l’algèbre était connue près de 2000 ans avant l’ère chrétienne et qu’elle avait probablement attiré l’attention de la classe intellectuelle bien avant cela... Le nom ‘algèbre’ est assez fortuit. Quand Muḥammad ibn Mûsâ al-Khowârizmî… écrivit, à Bagdad (c.825), il donna à l’un de ses travaux le nom de Al-jebr w’al-muqâbalah. Le titre est parfois traduit par « restauration et équation » mais sa signification n’était pas claire même pour les écrivains arabes ultérieurs. » Encyclopédie Britannique, 1952, s.v. Algèbre]

(6.9)
Il est maintenant clairement et irréfutablement démontré que l’importation des principes et procédés de civilisation des pays étrangers et l’acquisition de leurs sciences et de leurs techniques - bref, de tout ce qui contribuera au bien général - sont certainement permises. Ceci dans le but d’attirer l’attention publique sur une affaire de grand intérêt universel, afin que les peuples se lèvent de toute leur énergie pour la servir jusqu’à ce que, avec l’aide de Dieu, cette Terre sacrée puisse, d’ici peu de temps, devenir la première des nations.

(6.10)
Ô vous les sages ! considérez soigneusement ceci : un fusil ordinaire peut-il se comparer à une carabine Martini-Henry ou à un fusil Krupp ? Si quelqu’un maintenait que nos armes démodées sont assez bonnes pour nous et qu’il est inutile d’importer des armes inventées à l’étranger, même un enfant l’écouterait-il ? Ou, si quelqu’un disait : « Nous avons toujours transporté les marchandises d’un pays à un autre à dos d’animal. Qu’avons-nous besoin de locomotives à vapeur ? Pourquoi devons-nous singer les autres peuples ? » Une personne intelligente pourrait-elle tolérer un tel argument ? Non, par le Dieu unique ! À moins que, pour quelque dessein caché ou par animosité, il refuse d’admettre l’évidence.

(6.11)
Malgré leur grande habileté dans le domaine des sciences, de l’industrie et des arts, les nations étrangères n’hésitent pas à s’emprunter mutuellement des idées. Comment la Perse, pays plongé dans une misère noire, peut-elle se permettre de rester en arrière, négligée, abandonnée ?

(6.12)
Ces religieux éminents et hommes de sciences qui suivent le droit chemin et sont versés dans les secrets de la sagesse divine, qui sont avertis des réalités profondes des Livres saints, qui portent dans leur cœur le joyau de la crainte de Dieu et dont les visages lumineux brillent de la lumière du salut - ceux-là sont éveillés aux besoins actuels, comprennent les exigences des temps modernes et consacrent certainement toutes leurs énergies à encourager le progrès du savoir et de la civilisation. « Ceux qui savent et les ignorants sont-ils égaux ?... Les ténèbres sont-elles semblables à la lumière ? » [voir : Coran 39.9 et 13.16]


7. Les quatre normes des érudits

(7.1)
Les érudits spirituels sont les lampes qui guident les nations, et des étoiles de bonne fortune brillant à l’horizon de l’humanité. Ce sont des sources de vie pour ceux qui croupissent dans l’ignorance de l’inconscience et de clairs ruisseaux de perfection pour les assoiffés qui errent dans le désert de leurs défauts et de leurs erreurs. Ils sont les aurores des emblèmes de l’Unité divine et les initiés des mystères du glorieux Coran. Ce sont d’habiles médecins pour le corps malade du monde et de sûrs antidotes au poison qui a corrompu la société humaine. Ils forment la puissante citadelle gardant l’humanité et l’imprenable sanctuaire pour les désespérés, les anxieux et les tourmentés, victimes de l’ignorance. « Le savoir est une lumière que Dieu projette dans le cœur de qui il veut. »

(7.2)
Cependant, Dieu a créé un signe et un symbole pour chaque chose et a établi des normes et des tests par lesquels elle peut être connue. L’érudit spirituel doit être caractérisé par les perfections, intérieures aussi bien qu’extérieures ; il doit avoir bon caractère, une nature épanouie, une intention pure, posséder la force intellectuelle, l’éclat et le discernement, l’intuition, la discrétion et la prévoyance, la tempérance, la révérence et une profonde crainte de Dieu. Car une chandelle éteinte, quelque grosse et grande qu’elle soit, ne vaut pas mieux qu’un palmier stérile ou un tas de bois morts.

(7.3)
« Le visage épanoui peut bouder ou minauder,
La belle cruelle peut se rengorger et provoquer ;
Mais la houle de la laideur est mal venue,
Et la souffrance dans un œil aveugle est un double mal. » [Rúmí, The Mathnaví, I, 1906-1907]

(7.4)
Une tradition, faisant autorité, déclare : « Quant à l’érudit : il doit être prudent, défendre sa foi, maîtriser ses passions et observer les commandements de son Seigneur. C’est alors le devoir du peuple de suivre son exemple » [nota : « érudit » - ‘Ulamá’, de l’arabe ‘alima, savoir, peut être traduit par érudit, savant, autorité religieuse]. Puisque ces illustres et saintes paroles renferment toutes les conditions du savoir, un bref commentaire sur leur signification est indiqué. Quiconque ne possède pas ces qualifications divines ni ne répond à ces inéluctables exigences dans sa propre vie, ne devrait pas être considéré comme érudit et n’est pas digne de servir de modèle aux croyants.


8. La première norme: être prudent

(8.1)
La première de ces exigences, c’est d’être prudent. Il est évident que ceci ne veut pas dire se protéger des calamités et des épreuves matérielles, car les prophètes et les saints furent, tous et chacun, assujettis aux plus amères afflictions que le monde ait à offrir et furent les cibles des agressions de l’humanité. Ils sacrifièrent leur vie pour le bien du peuple et se hâtèrent, de tout cœur, vers le lieu de leur martyre ; et par leurs perfections intérieures et extérieures ils parèrent l’humanité d’un nouveau vêtement formé de qualités excellentes, tant acquises qu’innées. La signification première de cette prudence est l’acquisition des attributs de la perfection spirituelle et matérielle.

(8.2)
Le premier attribut de la perfection est l’étude et les réalisations culturelles de l’esprit. Cette position éminente est atteinte quand l’individu combine en lui-même une connaissance approfondie de ces réalités complexes et transcendantales des lois coraniques, politiques et religieuses, du contenu des Écritures saintes des autres religions et des règlements et procédures qui devraient contribuer au progrès et à la civilisation de ce distingué pays. Il devrait, de plus, être averti des lois et principes, des coutumes, des conditions et manières de vivre, des vertus matérielles et morales qui caractérisent la diplomatie des autres nations et devrait être très versé dans toutes les branches utiles du savoir actuel et étudier les documents historiques des gouvernements et peuples anciens. Car, si un individu instruit n’a aucune idée des Ecritures saintes et du champ complet des sciences divines et naturelles, de la jurisprudence religieuse, de l’art de gouverner, des connaissances variées de son temps et des événements de l’histoire, il pourrait se montrer incapable de faire face à une urgence et ceci est incompatible avec la qualification nécessaire de vaste érudition.

(8.3)
Si, par exemple, un érudit musulman soutient un débat avec un chrétien et qu’il ignore tout des glorieuses mélodies de l’Évangile, il sera incapable de convaincre ce dernier, quelles que soient les connaissances du Coran et de ses vérités qu’il lui communiquera, et ses paroles tomberont dans de sourdes oreilles. Toutefois, si le chrétien devait constater que le musulman est mieux instruit des fondements du christianisme que les prêtres eux-mêmes et comprend mieux qu’eux la signification des Écritures, il sera heureux d’accepter les arguments du musulman et, en fait, il ne pourrait faire autrement.

(8.4)
Quand le chef des exilés fut en présence de ce Luminaire de divine sagesse, de salut et de certitude qu’était l’Imám Riḍá - si cet Imám, ou cette mine de savoir, n’était pas parvenu, au cours de leur entretien, à fonder ses arguments sur les autorités appropriées et connues de ce chef, celui-ci n’aurait jamais reconnu la grandeur de Sa Sainteté. [nota : « chef des exilés » - le Resh Galuta, prince ou gouvernant des exilés de Babylone, à qui les Juifs, où qu’ils soient, devaient payer tribut]

(8.5)
De plus, l’État est basé sur deux pouvoirs : le législatif et l’exécutif. Le centre d’intérêt du pouvoir exécutif est le gouvernement alors que celui du pouvoir législatif est le savoir - et si ce dernier grand support et pilier devait être défectueux, comment pourrait-on concevoir qu’un État puisse exister ?

(8.6)
Considérant le fait que, présentement, il est difficile de trouver des individus aussi complètement développés et de savoir aussi étendu et étant donné que le gouvernement et le peuple ont un urgent besoin de direction et d’ordre, il est essentiel de former une assemblée d’érudits dont les différents secteurs seront composés chacun d’experts dans l’une des branches du savoir énumérées plus haut. Cette assemblée devrait, avec la plus grande vigueur, délibérer sur les besoins présents et futurs et assurer l’ordre et l’équilibre.

(8.7)
Jusqu’à maintenant, la loi religieuse n’a pas joué un rôle définitif dans nos Cours parce que chaque ‘ulamá émet des décrets à sa convenance, fondés sur son interprétation arbitraire et sur son opinion personnelle. Par exemple, deux hommes sont en procès, un des ‘ulamá jugera pour le plaignant et un autre pour le défendeur. Il peut même arriver que dans ce seul et même cas, deux décisions opposées soient rendues par le même mujtahid, parce qu’il a d’abord été inspiré dans un sens, puis dans l’autre. On ne peut douter que cet état de fait a apporté la confusion dans toutes les questions importantes et compromet nécessairement les bases mêmes de la société. Car, ni le plaignant ni le défendeur ne perdent l’espoir d’une réussite éventuelle et, chacun à son tour, gaspille son temps à tenter d’obtenir un verdict qui annulera le précédent. Ainsi, tout leur temps est consacré au litige avec le résultat que leur vie, au lieu d’être vouée à des entreprises bénéfiques et aux affaires personnelles nécessaires, est entièrement vouée aux disputes. En fait, ces deux opposants seraient aussi bien morts car ils ne peuvent servir ni leur gouvernement ni leur communauté. Or, si un verdict final et définitif était rendu, la partie perdante serait forcée d’abandonner tout espoir de rouvrir le cas ; elle en serait allégée et se remettrait à s’occuper de ses propres intérêts et de ceux d’autrui.

(8.8)
Puisque le principal moyen d’assurer la paix et la tranquillité du peuple, et que l’agent le plus efficace de l’avancement des pauvres aussi bien que des riches, est cette question d’importance primordiale, il incombe aux membres érudits de la grande assemblée consultative qui sont au fait de toute la Loi divine, d’instituer une seule procédure, directe et définitive, pour le règlement des litiges. Cette procédure devrait ensuite être promulguée à travers le pays, sur l’ordre du roi, et l’on devrait s’y conformer strictement. Cette question de la plus haute importance exige l’attention la plus immédiate.

(8.9)
Le deuxième attribut de la perfection est la justice et l’impartialité. Ceci signifie n’avoir aucune considération pour son bénéfice personnel et ses avantages égoïstes, et observer les lois de Dieu sans le moindre souci de quoi que ce soit d’autre. Cela veut dire de ne se considérer que comme l’un des serviteurs de Dieu, l’Omnipossédant, et de ne jamais tenter de se mettre à part des autres, sauf en ce qui concerne l’aspiration à la distinction spirituelle, Cela signifie de considérer le bien de la communauté comme son bien propre. Bref, cela signifie considérer l’humanité comme un simple individu et soi-même comme un membre de ce corps, et savoir en toute certitude que si la souffrance ou quelque blessure afflige un membre de ce corps, il en résulte inévitablement de la souffrance pour tout le reste.

(8.10)
La troisième exigence de la perfection est de s’engager avec une absolue sincérité et une grande pureté d’intention dans l’éducation des masses, de faire tous ses efforts pour les instruire dans les diverses branches du savoir et des sciences utiles, d’encourager le développement du progrès moderne, d’élargir le champ des activités commerciales, de l’industrie et des arts et de promouvoir les mesures qui accroîtront la richesse des gens. Car la masse de la population n’a aucune connaissance de ces agents vitaux qui constituent le remède immédiat aux maux chroniques de la société.

(8.11)
Il est essentiel que les savants et les érudits entreprennent en toute sincérité et en toute pureté d’intention, et uniquement pour l’amour de Dieu, de conseiller et d’exhorter les masses, de clarifier leur vision avec ce collyre qu’est le savoir. Car aujourd’hui, des profondeurs de sa superstition, le peuple imagine que tout individu qui croit en Dieu et en ses signes, dans les prophètes, les lois et les révélations divines, qui est pieux et craint Dieu, doit nécessairement rester oisif et passer ses jours dans la paresse afin d’être considéré aux yeux de Dieu comme ayant renoncé au monde et à ses vanités, ayant fixé son cœur sur la vie à venir et s’étant isolé des êtres humains afin de se rapprocher de Dieu. Puisque ce thème sera développé plus loin dans ce livre, nous le laisserons de côté pour l’instant.

(8.12)
Les autres attributs de la perfection sont la crainte de Dieu : aimer Dieu en aimant ses serviteurs ; être doux, patient et calme ; être sincère, soumis, clément et compatissant ; être résolu et courageux, digne de confiance et énergique, actif, généreux, loyal et sans malice ; être dévoué et avoir le sens de l’honneur ; avoir un esprit élevé ; être magnanime et respecter les droits d’autrui. Quiconque ne possède pas toutes ces excellentes qualités humaines est en défaut. Si nous devions expliquer la signification intrinsèque de chacun de ces attributs, le poème requerrait soixante-dix maunds de papier. [nota : « maunds » - mesure de poids, à Téhéran, équivalant à 6, 2/3 livres]


9. La deuxième norme: défendre sa foi

(9.1)
La seconde de ces normes spirituelles qui s’appliquent au possesseur du savoir est qu’il doit être le défenseur de sa Foi. Il est évident que ces saintes paroles ne se rapportent pas exclusivement à la recherche des implications de la Loi, à l’observance des rites, à la prévention des péchés capitaux et véniels, à la pratique des ordonnances religieuses et, par toutes ces méthodes, à la protection de la Foi. Elles signifient plutôt que la population entière doit être protégé sous tous les rapports, que tous les efforts doivent être faits pour adopter un ensemble de mesures propres à proclamer la Parole de Dieu, à accroître le nombre des croyants, à promulguer la Foi de Dieu, à l’exalter et à la rendre victorieuse sur les autres croyances.

(9.2)
Certes, si les autorités religieuses musulmanes avaient persévéré dans cette voie, comme elles l’auraient dû, toutes les nations de la terre seraient rassemblées, aujourd’hui, sous l’abri de l’unité de Dieu et le feu ardent de « Pour la faire prévaloir sur toute autre religion » aurait étincelé, comme le soleil, au cœur du monde. [voir : Coran 9.33 ; 48.28 : 61.9]

(9.3)
Quinze siècles après la venue du Christ, Luther, qui fut d’abord l’un des douze membres d’un organisme religieux catholique du gouvernement papal et qui plus tard fonda la croyance religieuse protestante, s’opposa au Pape sur certains points de doctrine comme l’interdiction du mariage monastique, la prosternation devant les images des apôtres et des dirigeants chrétiens du passé, et diverses autres pratiques et cérémonies religieuses ajoutées aux ordonnances de l’Évangile. À cette époque, le pouvoir du Pape était très grand, il inspirait une telle crainte que les rois d’Europe tremblaient devant lui et il détenait dans sa main puissante le contrôle des problèmes majeurs de l’Europe entière. Néanmoins, parce que la position de Luther sur la liberté du mariage pour les chefs religieux, l’abstention du culte des images et des reproductions accrochées dans les églises, et l’abrogation des cérémonies ajoutées à l’Evangile, était irréfutablement correcte, parce qu’il adopta les moyens convenables à la promulgation de ses vues, il advint que pendant ces quatre cent et quelques dernières années la majorité de la population de l’Amérique, les quatre cinquièmes de l’Allemagne et de l’Angleterre et un fort pourcentage d’Autrichiens - au total environ 125 millions de personnes provenant d’autres sectes chrétiennes - ont adhéré à l’Église protestante. Les dirigeants de cette religion s’efforcent toujours de la promouvoir et, aujourd’hui, dans le but ostensible d’émanciper les Soudanais et d’autres peuples noirs, ils ont fondé sur la côte d’Afrique orientale des écoles et des collèges qui civilisent et éduquent des tribus africaines entièrement sauvages alors que leur principal et véritable but est de convertir au protestantisme quelques-unes des tribus de noirs musulmans. Chaque communauté travaille énergiquement à l’avancement de son peuple, mais nous, musulmans, continuons à dormir !

(9.4)
Bien que le dessein de cet homme ne fût pas clair, ni ce vers quoi il tendait, voyez comment le zèle des chefs protestants a largement répandu ses doctrines.

(9.5)
Si le peuple illustre du seul vrai Dieu, récepteur de ses confirmations et objet de son aide divine, conjuguait ses forces et, avec un dévouement total, s’en remettait à Dieu, se détournait de tout sauf de Lui, adoptait des mesures pour répandre la Foi et y consacrait tous ses efforts, il est certain que sa lumière divine envelopperait la terre entière.

(9.6)
Quelques-uns sont inconscients de la réalité cachée sous la face des évènements, ne peuvent sentir le pouls du monde sous leurs doigts, ne savent pas quelle dose massive de vérité doit être administrée pour guérir cette vieille maladie chronique qu’est le mensonge. Aussi croient-ils que la Foi ne peut être répandue que par l’épée et appuient-ils leur opinion sur la tradition « Je suis un Prophète par l’épée ». Toutefois, s’ils examinaient attentivement cette question, ils verraient qu’à l’époque actuelle l’épée n’est pas un moyen convenable de promulguer la Foi car cela ne ferait que remplir les cœurs des hommes de révulsion et de terreur. Selon la loi divine de Muḥammad, il n’est pas permis de forcer le Peuple du Livre à reconnaître et à accepter la Foi. Bien que soit dévolu à chaque croyant conscient de l’unité de Dieu le devoir sacré de guider l’humanité vers la vérité, les traditions « Je suis un Prophète par l’épée » et « On m’a ordonné de menacer la vie des gens jusqu’à ce qu’ils disent ‘Il n’est pas d’autre Dieu que Dieu’ concernaient les idolâtres des jours d’ignorance qui, dans leur aveuglement et leur bestialité, s’étaient ravalés sous la condition de l’être humain. On pourrait difficilement compter sur une foi née de l’épée, et qui, pour quelques vétilles, retournerait à l’erreur et à l’incrédulité. Après l’ascension de Muḥammad et son passage au « séjour de Vérité auprès d’un Roi tout-puissant » [voir : Coran 54.55], les tribus des environs de Médine apostasièrent leur Foi, et retournèrent à l’idolâtrie des temps païens.

(9.7)
Rappelez-vous que lorsque les saintes brises de l’Esprit de Dieu (Jésus) répandaient leur douceur sur la Palestine et la Galilée, les rives du Jourdain et les alentours de Jérusalem, et que les merveilleuses mélodies de l’Évangile résonnaient aux oreilles des esprits éclairés, tous les peuples d’Asie et d’Europe, d’Afrique et d’Amérique, d’Océanie, y compris les îles et archipels du Pacifique et de l’Océan Indien, étaient des païens et des adorateurs du feu, ignorants de la Voix divine qui se faisait entendre au Jour de l’Alliance [voir : Coran 7.71 - Yawn-i-Alast, jour où Dieu s’adressant à la future postérité d’Adam, lui dit : « Ne suis-je pas votre Dieu ? » (a-lastu bi Rabbikum) et elle répondit : « Oui, nous en sommes témoins »]. Seuls les Juifs croyaient à la divinité et à l’unicité de Dieu. Par la déclaration de Jésus, le souffle pur et vivifiant de sa bouche conféra pendant trois ans la vie éternelle aux habitants de ces régions et, par la révélation divine, fut établie la loi du Christ, remède vital pour le corps souffrant du monde d’alors. Au temps du Christ, seuls quelques individus tournèrent leur face vers Dieu ; en fait, seulement douze disciples et quelques femmes devinrent de vrais croyants et l’un des disciples, Judas Iscariote, apostasia sa Foi, ce qui en réduisit le nombre à onze. Après l’ascension de Jésus au Royaume de gloire, ces quelques âmes, par leurs qualités spirituelles et leurs actes purs et saints, se levèrent, par la volonté de Dieu et les souffles vivifiants du Messie, pour sauver tous les peuples de la terre. Alors, toutes les nations idolâtres aussi bien que les Juifs se levèrent avec force pour éteindre le feu divin qui avait été allumé dans la lampe de Jérusalem. « Ils voudraient, avec leurs bouches, éteindre la lumière de Dieu, alors que Dieu ne veut que parachever sa lumière en dépit des incrédules. » [voir : Coran 9.32]. Ils massacrèrent chacune de ces âmes saintes sous d’atroces tortures, ils morcelèrent au couperet les corps purs et sans tache de quelques-uns d’entre eux et les jetèrent dans la fournaise et ils en rouèrent d’autres qu’ils enterrèrent vivants. En dépit de ces affreuses représailles, les chrétiens continuèrent à enseigner la cause de Dieu et ils ne tirèrent jamais l’épée du fourreau et n’écorchèrent même pas une joue. Finalement, la Foi du Christ engloba toute la terre de telle sorte qu’en Europe et en Amérique il ne resta plus trace des autres religions et que, aujourd’hui, en Asie, en Afrique et en Océanie de grandes multitudes vivent selon les Quatre Évangiles.

(9.8)
Il est donc pleinement établi, par les preuves irréfutables précitées, que la Foi de Dieu doit être propagée par les perfections humaines, par des qualités excellentes et plaisantes et un comportement spirituel. Si une âme s’avance vers Dieu de son propre gré, elle sera acceptée au Seuil de l’Unicité car une telle âme est exempte de considérations personnelles, de cupidité et d’intérêt égoïste. Elle s’est réfugiée sous la vigilante protection de son Seigneur. Elle sera reconnue par les hommes comme véridique et digne de confiance, sobre et scrupuleuse, loyale et d’esprit élevé, incorruptible et craignant Dieu. Ainsi sera réalisé le but premier de la révélation de la loi divine : assurer le bonheur de la vie future, la civilisation et un caractère raffiné dans la vie présente. Quant à l’épée, elle ne produira jamais qu’un homme qui croit extérieurement mais qui, à l’intérieur, est un traître et un apostat.

(9.9)
Nous relaterons ici une histoire qui servira d’exemple à tous. Les chroniques arabes disent comment, à une époque antérieure à la venue de Muḥammad, Nu’mán, fils de Mundhir, le Lakhmite - roi arabe des jours d’ignorance dont le siège de gouvernement était situé à Ḥírih - avait un jour vidé si souvent sa coupe de vin que son esprit s’assombrit et sa raison le quitta. Dans son état d’ivresse et d’insensibilité, il ordonna que ses deux compagnons de virée, ses amis intimes et bien-aimés, Khálid, fils de Mudallil, et ‘Amr, fils de Mas’úd-Kaldih, soient mis à mort. Quand il sortit de la torpeur de sa beuverie, il s’enquit de ses amis et on lui annonça la pénible nouvelle. Il en eut le cœur brisé et, à cause de son intense affection et de sa nostalgie à leur égard, il édifia deux splendides monuments sur leur tombe et les nomma « Souillés-de-Sang ».

(9.10)
Puis, il choisit deux jours de l’année en mémoire de ses deux compagnons ; l’un fut nommé Jour du mal et l’autre Jour de grâce. Chaque année, lors de ces deux jours, il sortait en grande pompe et s’asseyait entre les deux monuments. Si, au Jour du mal, son regard tombait sur quelqu’un, cette personne était mise à mort, mais, au Jour de grâce, quiconque passait par là était comblé de cadeaux et de faveurs. C’était sa loi, scellée par un serment inflexible et toujours scrupuleusement observé.

(9.11)
Un jour, le roi sella son cheval, Maḥmúd, et s’en fut chasser dans la plaine. Soudain, il vit au loin un onagre. Nu’mán éperonna son cheval pour l’attraper et galopa à une telle vitesse qu’il fut coupé de sa suite. À l’approche de la nuit, le roi était désespérément perdu. Il aperçut alors une tente, très loin dans le désert ; il tourna bride et se dirigea vers elle. Arrivant devant la tente, il demanda : « Voulez-vous recevoir un hôte ? » Le propriétaire, Ḥanzala, fils d’Abí-Ghafráy-i-Ṭá’í, répondit : « Oui », il s’avança et aida Nu’mán à descendre de cheval. Puis il rejoignit son épouse et lui dit : « Il y a des signes évidents de grandeur chez cette personne. Fais de ton mieux pour lui témoigner notre hospitalité et prépare un festin. » Elle lui répondit : « Nous avons une brebis. Sacrifie-là. J’ai économisé un peu de farine pour un tel jour. » Ḥanzala commença par traire la brebis et porta un bol de lait à Nu’mán. Puis il tua la brebis et prépara le repas. Par son amitié et son aimable bonté, il procura à Nu’mán une nuit paisible et confortable. Quand vint l’aurore, Nu’mán se prépara à partir et dit à Ḥanzala : « Tu m’as montré la plus grande générosité en me recevant et en me fêtant ; je suis Nu’mán, fils de Mundhir, et j’attendrai impatiemment ton arrivée à ma cour. »

(9.12)
Le temps passa et la famine s’abattit sur la terre de Ṭayy. Ḥanzala était dans la misère noire et se mit à la recherche du roi. Par une étrange coïncidence, il arriva le Jour du mal. Nu’mán fut profondément troublé et fit ce reproche à son ami : « Pourquoi es-tu venu vers ton ami ce jour entre tous les jours ? Car c’est le Jour du mal, c’est-à-dire le Jour de colère et le Jour de détresse. Aujourd’hui, si mon regard se pose sur Qábús, mon fils unique, il n’en réchappera pas vivant. Maintenant, demande-moi quelque faveur que tu désires. »

(9.13)
Ḥanzala répondit : « Je ne savais rien de ton Jour du mal. Quant aux bienfaits de cette vie, ils s’adressent aux vivants et, comme à cette heure, je dois goûter à la mort, à quoi tous les greniers du monde pourraient-ils me servir ? »
Nu’mán dit : « Il n’y a aucun recours. »
Ḥanzala dit alors : « Accorde-moi un répit afin que je puisse rejoindre ma femme et faire mon testament, je reviendrai l’an prochain au Jour du mal. »

(9.14)
Nu’mán demanda alors un répondant afin que, si Ḥanzala ne tenait pas sa parole, ce dernier soit mis à mort à sa place. Ḥanzala, impuissant et ahuri, regarda autour de lui. Son regard s’arrêta sur un des courtisans, Sharík, fils de ‘Amr, fils de Qays de Shaybán, ct il lui récita ces lignes : « O mon associé, O fils de ‘Amr ! Peut-on échapper à la mort ? Ô frère de tous les affligés ! Ô frère de celui qui n’a pas de frère ! Ô frère de Nu’mán, en toi est aujourd’hui la garantie du Shaykh. Où est Shaybán le noble- que le Très Miséricordieux le favorise ! » Mais Shárik ne répondit que ceci : « Ô mon frère, un homme ne peut jouer sa vie. » Entendant cela, la victime ne sut plus où se tourner. Alors, un homme du nom de Qarád, fils d’Adja’ le Kalbite, se leva et s’offrit en garantie, convenant que, s’il ne livrait pas la victime au prochain Jour du mal, le roi pourrait faire de lui, Qarád, ce qu’il voudrait. Alors Nu’mán donna cinq cents chameaux à Ḥanzala et le renvoya chez-lui.

(9.15)
L’année suivante, au Jour du mal, dès que l’aube pointa à l’horizon, Nu’mán, comme à son habitude, sortit en grande pompe et se dirigea vers les deux monuments appelés « Souillés de Sang ». Il y amena Qarád pour lui faire subir son royal courroux. Alors, les langues des grands de l’État se délièrent et ils implorèrent la miséricorde du roi lui demandant d’accorder à Qarád un répit jusqu’au coucher du soleil car ils espéraient que Ḥanzala reviendrait. Mais le dessein du roi était d’épargner la vie d’Ḥanzala et de récompenser son hospitalité en tuant Qarád à sa place ! Quand le soleil commença à descendre, on dépouilla Qarád de ses vêtements et l’on s’apprêta à lui trancher la tête. À cet instant, un cavalier apparut au loin galopant à toute vitesse. Nu’mán dit aux bourreaux : « Pourquoi tardez-vous ? » Les ministres répondirent : « Au cas où ce serait Ḥanzala qui arrive. » Et quand le cavalier fut plus près, ils virent que ce n’était personne d’autre.

(9.16)
Nu’mán était fort mécontent et dit : « Fou que tu es ! Tu as échappé une fois déjà aux griffes de la mort : devais-tu la provoquer une seconde fois ? »
Et Ḥanzala dit : « À l’idée de tenir ma parole, le poison de la mort est doux à ma bouche et agréable à ma langue. »
Nu’mán demanda : « Quelle peut être la raison de cette loyauté, de ce respect de tes obligations et de ce souci de tenir ton serment ? » Ḥanzala répondit : « C’est ma foi dans le Dieu unique et les Livres descendus du ciel. » Nu’mán demanda : « Quelle foi professes-tu ? » et Ḥanzala dit : « Les Saints Souffles de Jésus me firent naître. Je suis le droit sentier du Christ, l’Esprit de Dieu. » Nu’mán dit : « Laisse-moi respirer ces doux parfums de l’Esprit. »

(9.17)
Ce fut ainsi que Ḥanzala tira la blanche main de direction du sein de l’amour de Dieu, et illumina de la lumière de l’Évangile la vue et l’esprit des témoins [voir : Coran, 27.12, parlant de Moise :« Introduits ta main dans l’ouverture de ta tunique; elle en sortira blanche... C’est un des neuf signes destinés au Pharaon et à son peuple... ». Voir aussi : Coran 7.105 ; 20.23, 26.32 et 28.32 ; Exode 4.6 ; « The Rubaiyat of Omar Khayyam » par Edward Fitzgerald : « Maintenant que la nouvelle année ravive de vieux désirs, se retire à la solitude l’âme pensive, où la blanche Main de Moise sur la Branche se tend, et Jésus du sol soupire. » Les métaphores se réfèrent aux fleurs blanches et aux parfums du printemps].

(9.18)
Après qu’ils eurent, avec des accents joyeux, récité quelques versets divins de l’Évangile, Nu’mán et tous ses ministres se détournèrent de leurs idoles et de leurs cultes et furent confirmés dans la Foi de Dieu. Et ils dirent : « Hélas, mille fois hélas, jusqu’à maintenant nous avons été indifférents à cette infinie miséricorde cachée à nos yeux et nous nous sommes privés de cette pluie des nuages de la grâce de Dieu. » Puis, le roi détruisit sur le champ les deux monuments appelés « Souillés de Sang », se repentit de sa tyrannie et instaura la justice dans le pays.

(9.19)
Voyez comment un individu, homme du désert, apparemment inconnu et sans renommée, parce qu’il démontra l’une des qualités des gens au cœur pur, put délivrer ce fier souverain et une foule d’autres gens des ténèbres de l’incroyance et les guider jusqu’au matin du salut, les sauver de la perdition de l’idolâtrie, les amener aux rivages de l’unicité de Dieu et mettre fin à ces pratiques qui flétrissent une société entière et réduisent le peuple à la barbarie. Il faut y réfléchir profondément et en saisir toute la signification.

(9.20)
Mon cœur saigne car je note avec un intense regret que l’attention des gens n’est en aucune façon dirigée vers ce qui est digne de ce jour et de ce temps. Le Soleil de vérité s’est levé sur le monde, mais nous sommes pris au piège de nos sombres imaginations. Les eaux du très grand Océan s’enflent autour de nous, mais la soif nous dessèche et nous affaiblit. Le pain divin descend du ciel, mais nous tâtonnons et trébuchons dans un pays affamé. « Entre les larmes et l’affliction, je traîne mes jours. »

(9.21)
Le fanatisme et le zèle religieux irraisonné sont une des raisons principales pour laquelle les adeptes des autres religions ont rejeté la Foi de Dieu et ne s’y sont pas convertis. Notez, par exemple, ces divines paroles adressées à Muḥammad, l’Arche du salut, le lumineux Visage et le Seigneur des Hommes, lui ordonnant d’être doux et patient avec le peuple : « Discute avec eux de la meilleure manière » [voir : Coran 16.125]. Cet Arbre béni dont la lumière n’était « ni de l’Orient ni de l’Occident » [voir : Coran 24.35] et qui répandait sur tous les peuples de la terre l’ombre protectrice d’une grâce incommensurable, fit montre d’une bonté et d’une longanimité infinies dans ses rapports avec tous et chacun. Par ces mêmes mots, il fut aussi ordonné à Moïse et à Aaron de défier le Pharaon, Seigneur des épieux : « Parle-lui d’une voix douce » [voir : Coran, 20.44. D. Masson traduit : « adressez-lui des paroles courtoises »] [nota: « Seigneur des épieux » - Dhu’l-Awtád est rendu de diverses façons par les traducteurs du Coran : I’Empaleur, I’lnventeur des épieux, le Seigneur du Puissant Empire, Celui qui est entouré de Ministres, etc. Awtád signifie épieux ou piquets de tente. Voir Coran 38.12 et 89.10].

(9.22)
Bien que la noble conduite des Prophètes et des Saints de Dieu soit très connue et offre jusqu’à ce que l’Heure soit venue [voir : Coran 33.63 : « Les hommes t’interrogeront au sujet de l’Heure. Dis : Dieu seul la connaît. ». Voir aussi Coran 22.l : « le tremblement de terre de l’heure », etc. Voir aussi Mathieu 24.36-42, etc. Pour les bahá’ís, ceci réfère à la venue du Báb et de Bahá’u’lláh], un excellent modèle à suivre pour toute l’humanité, certains sont néanmoins demeurés insouciants et étrangers à ces qualités de sympathie extraordinaire et de tendre bonté, et ont été empêchés de parvenir à la signification profonde des Livres saints. Non seulement évitent-ils scrupuleusement les adeptes des religions autres que la leur, mais ils ne se permettent même pas de leur montrer la plus élémentaire courtoisie. Si on n’a pas le droit de s’associer à un quelqu’un d’autre, comment peut-on le guider hors de la sombre et vide nuit du refus, du « il n’est pas de Dieu » [nota : la profession de foi islamique, appelée quelquefois les deux témoignages : « Je témoigne qu’il n’est pas de Dieu sauf Dieu et que Muḥammad est le Prophète de Dieu »]. Et, comment peut-on le pousser et l’encourager à s’élever hors de l’abîme de perdition et d’ignorance pour gravir les hauteurs du salut et du savoir ? Considérez en toute justice : si Ḥanzala n’avait pas traité Nu’mán avec une véritable amitié, lui témoignant bonté et hospitalité, aurait-il pu amener le roi et une foule d’autres idolâtres à reconnaître l’unicité de Dieu ? Se tenir à l’écart des gens, les éviter et être dur envers eux les feront s’éloigner, alors que l’affection et la considération, la douceur et la patience attireront leur cœur vers Dieu. Si un vrai croyant devait exprimer du mépris face à un étranger et devait énoncer les horribles paroles interdisant la fréquentation d’étrangers, les qualifiant d’« impurs », l’étranger serait blessé et offensé à un tel point qu’il n’accepterait jamais la Foi, même s’il voyait se dérouler devant ses yeux le miracle de la lune fendue en deux. Voici le résultat de ce rejet : s’il y avait eu dans son cœur la moindre inclination vers Dieu, il le regretterait et s’enfuirait de la mer de la foi vers les déserts de l’oubli et de l’incrédulité. Puis, à son retour dans son pays, il publierait dans la presse des déclarations qui laisseraient entendre que telle et telle nation était totalement dépourvue des qualités d’un peuple civilisé.

(9.23)
Si nous méditons un instant sur les versets du Coran, les preuves et les compte rendus officiels qui nous sont parvenus de ces étoiles du ciel de l’Unicité divine - les saints Imams - nous serons convaincus du fait que si quelqu’un est doué des attributs de la vraie foi et marqué par les qualités spirituelles, il deviendra, pour l’humanité entière, l’emblème des infinies miséricordes de Dieu. Car les attributs des gens de foi sont la justice et l’équité, la patience, la compassion et la générosité, l’attention envers les autres, la franchise, la fidélité et la loyauté, l’amour et la gentillesse, le dévouement, la détermination et l’humanité. Donc, si un individu est foncièrement équitable, il s’assurera de tous les moyens qui attireront le cœur des hommes et, par les attributs de Dieu, il les guidera vers le droit chemin de la foi et les fera boire à la source de vie éternelle.

(9.24)
Aujourd’hui, nous fermons les yeux à tout acte vertueux et sacrifions le bonheur durable de la société à nos éphémères avantages personnels. Nous considérons que le fanatisme et le zèle aveugle ajoutent à notre réputation et à notre honneur et, non contents de cela, nous nous agressons mutuellement et complotons notre ruine réciproque. Et, quand nous désirons montrer notre sagesse et notre savoir, notre vertu et notre sainteté, nous nous moquons de celui-ci et de celui-là et nous l’insultons. Nous disons : « Les idées de celui-ci sont loin du compte et la conduite de celui-là laisse grandement à désirer. Les pratiques religieuses de Zayd sont à peu près inexistantes, et ‘Amr vacille dans sa foi. Les opinions d’un tel sentent l’Europe. Foncièrement, Blank ne considère rien d’autre que son nom et sa réputation. Hier soir, quand la congrégation se leva pour prier, les rangs n’étaient pas bien formés et il n’est pas permis de suivre un autre chef. Aucun riche n’est décédé ce mois-ci et aucune obole ne fut offerte au Prophète. L’édifice de la religion s’est écroulé, les fondements des croyances se sont envolés aux quatre vents. Le tapis de la Foi a été roulé, les gages de certitude ont été retirés, le monde entier est tombé dans l’erreur, tous sont mous et insouciants quand il s’agit de repousser la tyrannie. Des jours et des mois se sont écoulés, ces villages et ces domaines appartiennent toujours aux mêmes propriétaires que l’an dernier. Dans cette ville, il y avait soixante-dix gouvernements différents, fonctionnant parfaitement, mais le nombre en a constamment diminué, il n’en reste plus que vingt-cinq, à titre de souvenir. Habituellement deux cents jugements contradictoires étaient rendus par le même mufti dans une seule journée, maintenant nous en obtenons à peine cinquante. En ce temps-là, des foules de gens raffolaient de procès et maintenant ils sont paisibles ; un jour, le plaignant perdait et le défendeur gagnait, le lendemain le plaignant gagnait et le défendeur perdait - mais cette excellente coutume est aussi abandonnée. Quelle est cette religion païenne, cette erreur idolâtre ! Hélas pour la Loi, hélas pour la Foi, hélas pour toutes ces calamités ! Ô frères dans la Foi ! C’est vraiment la fin du monde ! Le Jugement arrive ! »

(9.25)
Par de telles paroles, ils agressent l’esprit des masses sans défense et troublent le cœur des pauvres déjà désorientés, qui ne savent rien de la véritable situation et de la base réelle de tels discours, et demeurent totalement inconscients du fait que mille mobiles égoïstes se cachent derrière la supposée éloquence religieuse de certains individus. Ils s’imaginent que ceux qui tiennent ce genre de discours sont motivés par un zèle vertueux alors qu’en vérité, de tels individus poussent ces cris et ces clameurs parce qu’ils voient leur ruine personnelle dans le bien-être des masses et croient que, si le peuple ouvre les yeux, leur propre lumière s’éteindra. Seule la plus aiguë perception détectera le fait que si les cœurs de ces individus étaient vraiment mus par la rectitude et la crainte de Dieu, le parfum, comme le musc, s’en répandrait partout. Rien au monde ne peut s’appuyer sur les paroles seules.

(9.26)
« Mais ces hiboux de malheur ont apporté le mal apprenant à chanter comme le blanc faucon.
Qu’en est-il du message de Sheba qu’apporte le vanneau si les butors apprennent le chant du vanneau ? » [voir : Coran 27.20]

(9.27)
Les sages spirituels, ceux qui ont saisi la signification et l’infinie sagesse des Livres de la révélation divine et dont les cœurs éclairés tirent leur inspiration du monde invisible de Dieu, s’efforcent d’instaurer sûrement, sous tous les rapports et envers tous, la suprématie des vrais disciples de Dieu, travaillent ardemment et luttent pour employer tous les moyens qui amèneront le progrès. Si quelqu’un néglige ces buts élevés, il ne sera jamais agréable aux yeux de Dieu ; il apparaît avec tous ses défauts, tout en se réclamant de la perfection, et prétend, en vain, à la richesse.

(9.28)
« Le paresseux, aveugle et maussade, est un misérable, "un amas de chair, sans pied ni aile".
Loin est celui qui imite et prétend de l’éclairé qui sait vraiment. L’un n’est qu’un écho, bien que clair et précis, l’autre, le Psalmiste David et sa harpe. »

(9.29)
Le savoir, la pureté, le dévouement, la discipline, l’indépendance n’ont rien à voir avec l’apparence extérieure et le vêtement. Un jour au cours de mes voyages, j’ai entendu un personnage éminent faire cette excellente remarque dont l’esprit et le charme me sont restés en mémoire : « Tous les turbans des clercs ne sont pas une preuve de vertu et de savoir ; tous les chapeaux des laïcs ne sont pas un signe d’ignorance et d’immoralité. Combien de chapeaux ont fièrement brandi la bannière du savoir ; combien de turbans ont affaibli la Loi de Dieu ! »


10. La troisième norme: Combattre ses passions

(10.1)
Le troisième élément de l’énoncé que nous discutons est : « combattre ses passions ». Que de merveilleuses implications sont contenues dans cette phrase apparemment simple et complète ! Elle est l’assise même de toute qualité humaine louable. En fait, ces quelques mots contiennent la lumière du monde et la base indestructible de tous les attributs spirituels des êtres humains. C’est la balance de tout comportement et le moyen de garder en équilibre toutes les bonnes qualités humaines.

(10.2)
Car le désir est une flamme qui a réduit en cendres d’innombrables moissons de toute une vie de savant, un feu dévorant que même le vaste océan de leurs connaissances accumulées ne put jamais éteindre. Souvent est-il arrivé qu’un individu favorisé de tous les attributs de l’humanité et paré du joyau de la vraie compréhension, n’en ait pas moins poursuivi ses passions jusqu’à ce que ses excellentes qualités franchissent la limite de la modération et atteignent l’excès. De pures, ses intentions devinrent mauvaises, ses attributs ne servent plus des buts qui en soient dignes, et la force de ses désirs le détourne de la droiture et de ses récompenses vers de dangereuses et sombres voies. Aux yeux de Dieu, de ses élus et des gens perspicaces, un bon caractère est la meilleure et la plus louable des choses, mais toujours à condition que son centre d’émanation soit la raison et le savoir et son principe la vraie modération. Si toutes les implications de ce sujet devaient être développées comme il se doit, l’œuvre en serait trop longue et notre thème principal perdu de vue.

(10.3)
Tous les peuples d’Europe, nonobstant leur civilisation tant vantée, sombrent et se noient dans cette terrible mer de la passion et du désir. C’est pourquoi tous les phénomènes de leur culture n’aboutissent à rien. Que personne ne s’étonne de cette affirmation ou la déplore ! Le but premier, l’objectif de base dans l’élaboration de lois puissantes et dans l’établissement de grands principes et d’institutions en rapport avec tous les aspects de la civilisation, est le bonheur humain ; et le bonheur humain consiste uniquement à se rapprocher du Seuil du Dieu tout puissant, et à assurer la paix et le bien-être de chaque membre de l’espèce humaine, qu’il soit grand ou petit. Les moyens suprêmes pour la réalisation de ces deux objectifs sont les excellentes qualités dont l’humanité a été dotée.

(10.4)
Une culture superficielle, sans la pratique d’une moralité cultivée, est comme « un amas de rêves » [voir : Coran 12.44 et 21.5] et le lustre extérieur, sans perfection intérieure, est « semblable à un mirage dans une pleine. Celui qui est altéré croit voir de l’eau » [voir : Coran 24.39]. Car des résultats qui rencontreraient le bon plaisir de Dieu et assureraient la paix et le bien-être de l’homme ne pourraient jamais être pleinement obtenus dans une civilisation purement extérieure.

(10.5)
Les peuples d’Europe ne sont pas parvenus aux plus hautes sphères de la civilisation morale, comme le démontrent clairement leurs opinions et leur comportement. Notez, par exemple, comment le désir suprême des gouvernements et des peuples européens d’aujourd’hui est de se conquérir et de s’écraser réciproquement et comment, tout en nourrissant secrètement la plus forte répulsion, ils passent leur temps à échanger des témoignages d’affectueux voisinage, d’amitié et d’harmonie.

(10.6)
Existe le cas bien connu du gouvernant qui encourage la paix et la tranquillité et qui, en même temps, consacre plus d’énergie que les fauteurs de guerre à accumuler des armes et à édifier une armée plus puissante sous prétexte que la paix et l’harmonie ne peuvent s’obtenir que par la force. La paix sert de prétexte. Nuit et jour, tous fournissent un effort intense pour amasser de plus en plus d’armes et, pour en acquitter le prix, le peuple misérable doit sacrifier presque tout ce qu’il parvient à gagner à la sueur de son front. Combien de milliers de personnes ont quitté leur travail dans des industries utiles pour œuvrer jour et nuit à produire de nouvelles armes plus meurtrières qui répandront le sang de l’espèce plus généreusement que jamais auparavant.

(10.7)
Chaque jour, l’on invente une nouvelle bombe ou un nouvel explosif et les gouvernements doivent se défaire de leurs armes désuètes pour se mettre à en produire de nouvelle, les anciens armements ne pouvant tenir tête aux récents. Par exemple, à l’heure où j’écris, en 1292 A.H. [nota: 1875 A.D.], l’Allemagne a inventé un nouveau fusil et l’Autriche un canon de bronze qui ont une plus grande puissance de feu que le fusil Martini Henry et le canon Krupp ; ils ont des effets plus rapides et sont plus efficaces pour anéantir l’humanité. Les masses infortunées doivent en supporter le coût incroyable.

(10.8)
Soyez justes : cette situation qui a le nom de civilisation, peut-elle, sans être soutenue par une véritable civilisation de caractère, apporter la paix et le bien-être des gens ou rencontrer le bon plaisir de Dieu ? N’implique-t-elle pas plutôt la destruction de l’être humain et ne détruit-elle pas les piliers du bonheur et de la paix ?

(10.9)
On rapporte qu’au moment de la guerre franco-prussienne, en 1870, 600.000 hommes moururent, brisés et battus, sur le champ de bataille. Combien de foyers eurent leurs racines détruites, combien de villes, florissantes la veille, s’écroulèrent au lever du soleil. Combien d’enfants devinrent orphelins ou furent abandonnés, combien de vieux parents durent voir leurs fils, jeunes fruits de leur vie, se tordre et mourir dans la poussière et le sang. Combien de femmes furent veuves, sans aide ni protection.

(10.10)
Puis, ce furent les bibliothèques et les magnifiques immeubles de France qui brûlèrent, ainsi que les hôpitaux militaires bondés de malades et de blessés. Suivirent les terribles évènements de la Commune, les actes sauvages, la ruine et l’horreur quand des factions opposées luttaient et s’entretuaient dans les rues de Paris. Il y eut les haines et les hostilités entre les chefs religieux catholiques et le gouvernement allemand. Il y eut la guerre civile et la révolution, le sang versé et les ravages causés entre partisans de la République et Carlistes en Espagne.

(10.11)
Il n’existe que trop de situations semblables pour prouver que l’Europe est moralement non civilisée. Puisque l’auteur n’a aucun désir de jeter le discrédit sur qui que ce soit, il s’est borné à ces quelques exemples. Il est clair qu’aucun esprit perspicace et bien informé ne peut approuver de tels évènements. Est-il juste et convenable que des peuples, chez qui se produisent des horreurs en opposition complète avec le comportement humain le plus souhaitable, osent prétendre à une civilisation réelle et adéquate ? Particulièrement quand de tout cela, on ne peut rien espérer d’autre que la satisfaction d’une victoire éphémère. Puisque son effet ne dure jamais, elle n’en vaut pas la peine aux yeux du sage.

(10.12)
Parfois au cours des siècles, l’État allemand a subjugué la France ; plus d’une fois le royaume de France a gouverné la terre allemande. Est-il permis que de nos jours 600.000 êtres innocents soient offerts en holocauste à des usages et à des résultats si vains et si temporaires ? Non, par le Seigneur Dieu ! Même un enfant peut en discerner le mal. Cependant, la poursuite des passions et des désirs couvre les yeux de mille voiles sortis du cœur pour obscurcir la vue externe autant qu’interne.

(10.13)
« Le désir et le moi obstruent la porte et masquent la vertu, brillante jusque-là. Et cent voiles se lèveront du cœur pour aveugler les yeux. »

(10.14)
La vraie civilisation déploiera son drapeau au centre même du monde aussitôt qu’un certain nombre de ses souverains éminents et altruistes - exemples insignes de dévouement et de détermination - se lèveront, animés d’une ferme résolution et d’une vision claire, pour le bien et le bonheur de toute l’humanité, afin de servir la cause de la paix universelle. Ils auront à faire de la cause de la paix l’objet d’une consultation générale et à chercher, par tous les moyens en leur pouvoir, à établir une union des nations du monde. Ils devront conclure un traité à caractère obligatoire et instituer une alliance dont les clauses seront solides, inviolables et bien définies. Ils devront la proclamer au monde entier et lui obtenir la sanction de toute la race humaine. Cette suprême et noble entreprise - la véritable source de la paix et du bien-être du monde entier - devra être tenue pour sacrée par tous les habitants de la terre. Toutes les forces de l’humanité devront se mobiliser pour assurer la stabilité et la permanence de cette très grande alliance. Dans ce pacte universel, les limites et les frontières de tous les pays devront être clairement fixées, les principes régissant les relations réciproques entre gouvernements exactement stipulés, et toutes les obligations et tous les accords internationaux dûment précisés. De même, l’importance des armements de chaque gouvernement devra être strictement limitée car, si l’on permettait à une nation d’augmenter ses préparatifs de guerre et ses forces militaires, la suspicion des autres États s’éveillerait aussitôt. Le principe fondamental à la base de ce pacte solennel devrait être établi de telle sorte que si, par la suite, un gouvernement violait l’une de ces dispositions, tous les gouvernements de la terre devraient se lever pour le réduire à la plus complète soumission ou, mieux encore, l’ensemble de la race humaine devrait se résoudre à détruire ce gouvernement par tous les moyens en son pouvoir. Que ce remède, le plus grand de tous, soit appliqué au corps malade du monde, et il guérira assurément de ses maux et restera éternellement à l’abri de tout danger. [nota : ce paragraphe, ainsi que celui qui débute par « Quelques-uns, inconscients... » a été traduit par Shoghi Effendi, Gardien de la Foi bahá’íe. cf. « L’ordre mondial de Bahá’u’lláh », Bruxelles, MEB, 1993, pp. 32-33]

(10.15)
Vous constaterez que si une aussi heureuse situation devait se produire, aucun gouvernement n’aurait plus besoin d’amasser continuellement des armements, ni de se sentir obligé de toujours produire des armes nouvelles pour conquérir l’humanité. Des effectifs réduits, assurant la sécurité intérieure, la correction des fauteurs de crimes et de désordres et la prévention des désordres locaux, seraient, à eux seuls, suffisants. Dès lors, la population tout entière serait en tout premier lieu débarrassée de la charge écrasante des dépenses couramment imposées pour des fins militaires ; ensuite, une foule de gens cesserait de consacrer son temps à la découverte continuelle d’armes destructrices - témoignages d’avidité et de soif de sang si incompatibles avec le don de la vie - pour, plutôt, tendre leurs efforts à produire tout ce qui peut promouvoir l’existence, la paix et le bien-être de l’espèce humaine et devenir cause de développement et de prospérité universelle. Alors, chacune des nations du monde règnera dans l’honneur et chaque peuple sera bercé par la quiétude et le contentement.

(10.16)
Quelques uns, ignorant la puissance latente de l’effort humain, considèrent cette question comme hautement irréaliste, et même hors de portée des efforts les plus acharnés de l’homme. Tel n’est pourtant pas le cas. Au contraire, grâce à l’infaillible clémence de Dieu, à la bonté de ses élus, aux efforts incomparables d’âmes capables et sages, aux pensées et aux idées des dirigeants hors pair de cette époque, absolument rien ne peut être regardé comme inaccessible. L’effort, un effort incessant, est nécessaire. Seule une? Assurément, le jour viendra où sa très belle lumière détermination indomptable pourra le produire. Bien des objectifs qui, autrefois, étaient tenus pour chimériques, sont devenus, de nos jours, faciles et réalisables. Pourquoi faudrait-il que cette sublime et noble cause - l’étoile matinale au firmament de la vraie civilisation et la source de la gloire, du progrès, du bien être et du succès pour toute l’humanité - soit regardée comme impossible à réaliser illuminera l’assemblée des hommes.

(10.17)
Au rythme où se déroulent actuellement les préparatifs, les dispositifs de conflit atteindront un point où la guerre deviendra intolérable pour l’humanité.

(10.18)
Il ressort clairement de ce qui a été dit que la gloire et la grandeur de l’homme ne consistent pas en ce qu’il soit avide de sang et armé de griffes redoutables, détruisant les villes, semant le ravage, massacrant les forces armées et les civils. Ce qui entraînerait pour lui un brillant avenir serait sa réputation de justice, sa bonté pour toute la population sans distinction de classes, son édification de pays, villes, villages et districts, ses efforts pour rendre la vie facile, pacifique et heureuse pour ses frères, pour établir des principes fondamentaux de progrès, pour élever le niveau de vie et accroître la richesse de la population entière.

(10.19)
Pensez au nombre de rois qui ont trôné en conquérants à travers l’histoire. Parmi eux, Hulágú Khán et Tamerlan qui s’emparèrent du vaste continent d’Asie, Alexandre de Macédoine et Napoléon Ier qui brandirent leurs poings arrogants sur trois des cinq continents de la terre. Et qu’apportèrent leurs puissantes victoires ? Les nations en furent-elles plus florissantes, le bonheur en résulta-t-il, en reste-il un seul trône ? Ou, plutôt, les maisons régnantes ne perdirent-elles pas leur pouvoir ? Hulágú de Changíz, maître guerrier, ne récolta aucun fruit de toutes ses conquêtes sauf que l’Asie fut mise à feu par plusieurs batailles et fut réduite en cendres. Et de tous ses triomphes, Tamerlan ne récolta que des peuples décimés et la ruine universelle. Alexandre ne retira rien de ses victoires fantastiques sauf que son fils perdit le trône et que Philippe et Ptolémée s’emparèrent des empires qu’il avait précédemment gouvernés. Et que retira Napoléon Ier de l’assujettissement des rois d’Europe sinon la destruction de pays florissants, la déchéance de leurs habitants, la terreur et l’angoisse répandues à travers le continent et, à la fin de sa vie, sa propre captivité ? ainsi en est-il pour les conquérants et les monuments qu’ils laissèrent derrière eux.

(10.20)
Comparez à cela les nobles qualités, la grandeur et la noblesse d’Anúshírván, le Généreux et le Juste [nota : Roi sassanide qui régna de 531 à 578 A.D.]. Ce monarque équitable prit le pouvoir au moment où le trône de Perse, jadis solidement établi, était sur le point de s’écrouler. Par son don divin d’intelligence, il établit les fondements de la justice, déracinant l’oppression et la tyrannie et rassemblant les peuples dispersés de Perse sous les ailes de son empire. Grâce à l’influence rénovatrice de ses soins incessants, la Perse, alors paralysée et ravagée, reprit vie et devint rapidement la plus belle des nations florissantes. Il rétablit et renforça les pouvoirs désorganisés de l’État et le renom de sa justice et de sa droiture résonna à travers les sept climats [nota : c.à.d., le monde entier] jusqu’à ce que les peuples sortissent de leur déchéance et de leur misère pour s’élever vers les cimes de la félicité et de l’honneur. Bien que ce souverain fut Mage, Muḥammad, ce Centre de la création et Soleil des prophètes, dit de lui : « Je suis né au temps d’un roi juste », et se réjouit d’avoir vu le jour sous son règne. Cet illustre personnage accomplit-il sa mission exaltée en vertu de ses admirables qualités ou en s’élançant à la conquête du monde et en répandant le sang de ses peuples ? Notez qu’il atteignit un rang si distingué dans le cœur du monde que sa grandeur résonne encore à travers les temps et qu’il obtint la vie éternelle. Devrions-nous commenter la vie des grands que ce bref essai en serait indûment allongé et, puisqu’il n’est pas certain que l’opinion publique de Perse sera matériellement affectée par sa lecture, nous abrégerons l’œuvre et passerons à d’autres questions qui sont du ressort de l’esprit public. Si, toutefois, il devait arriver que cet abrégé produise des résultats favorables, nous écrirons, si Dieu le veut, un certain nombre de livres traitant en détail et utilement des principes fondamentaux de la sagesse divine en relation avec le monde de la création.

(10.21)
Aucun pouvoir terrestre ne peut prévaloir contre les armées de la justice, chaque citadelle doit tomber devant elles ; car les hommes se laissent conquérir de bon gré par les coups triomphants de cette lame décisive, et les endroits sauvages fleurissent et prospèrent sous les pas de ces légions. Il existe deux puissantes bannières qui, lorsqu’elles projettent leur ombre sur la couronne de tout roi, permettront à l’influence de son gouvernement de se répandre facilement et rapidement sur toute la terre, comme si c’était la lumière du soleil : la première est la sagesse, la seconde est la justice. À ces deux forces très puissantes les montagnes de fer ne peuvent résister et le mur d’Alexandre cédera devant elles. Il est évident que la vie dans ce monde évanescent est aussi fugace et inconstante que la brise matinale et, puisqu’il en est ainsi, combien fortunés sont les grands qui laissent derrière eux un beau nom et la mémoire d’une vie entière passée dans le sentier du bon plaisir de Dieu !

(10.22)
« II en est de même, que ce soit un trône
ou la terre nue à ciel ouvert,
Où l’âme pure s’étend pour mourir. » [nota : Sa’di, le Gulistan, « Sur le comportement des rois »]

(10.23)
Une conquête peut être une noble chose. À certains moments, la guerre devient une puissante base de paix, et la ruine le moyen même de la reconstruction. Si, par exemple, un noble souverain range ses troupes pour arrêter l’avance de l’insurgé et de l’agresseur ou encore s’il se met en campagne pour unifier un État et un peuple divisés ; bref, s’il fait la guerre pour une juste cause, alors ce mal apparent devient la miséricorde même et cette tyrannie présumée devient la substance même de la justice, cette guerre la pierre angulaire de la paix. Aujourd’hui, la tâche qui incombe aux grands dirigeants est d’instaurer la paix universelle, car en elle réside la liberté de tous les peuples.


11. La quatrième norme: obéissance aux commandments

(11.1)
La quatrième phrase de l’Énoncé précité, montrant la voie du salut, est : « être obéissant aux commandements de son Seigneur. » Il est certain que la plus haute distinction de l’homme est d’être humble devant Dieu et lui obéir, que sa plus grande gloire, son rang et son honneur le plus exalté dépendent de son étroite observance des commandements divins et des interdictions. La religion est la lumière du monde ; le progrès, la réussite et le bonheur de l’homme résultent de l’obéissance aux lois établies dans les Livres saints. Bref, on peut démontrer que dans cette vie, tant intérieurement qu’extérieurement, c’est la religion qui est la structure la plus puissante, la plus solidement établie, la plus durable ; elle sauvegarde le monde et assure à la fois les perfections spirituelles et matérielles de l’humanité et protège le bonheur et la civilisation de la société.

(11.2)
Il est vrai que certains individus insensés, qui n’ont jamais examiné, comme il convient, les fondements des religions divines, qui ont adopté comme critère la conduite de quelques dévots hypocrites et l’utilise pour jauger les personnes pieuses, en ont conclu que les religions sont un obstacle au progrès, un facteur de division et une cause de malveillance et d’hostilité entre les peuples. Ils n’ont même pas observé que les principes des religions divines peuvent difficilement être évalués d’après les actes de ceux qui prétendent les suivre. Car toute chose excellente, aussi incomparable qu’elle soit, peut toujours être utilisée à de mauvaises fins. Une lampe allumée dans les mains d’un enfant ignorant ou d’un aveugle ne chassera pas les ténèbres ambiantes et n’illuminera pas la maison - elle mettra le feu à son porteur et à la maison. Pouvons-nous, dans ce cas, blâmer la lampe ? Non, par le Seigneur Dieu ! Pour le voyant, une lampe est un guide qui montre le chemin ; mais pour l’aveugle c’est un désastre.

(11.3)
Le Français Voltaire fut de ceux qui rejetèrent la croyance religieuse, il écrivit un grand nombre de livres attaquant les religions, ouvrages qui n’ont pas plus de valeur que des jouets d’enfant. Cet auteur, prenant comme critères les lacunes et les instructions du Pape, chef de la religion catholique romaine, ainsi que les intrigues et les querelles des chefs religieux de la chrétienté, s’en prit, dans ses déclarations, à l’Esprit de Dieu (Jésus). Son raisonnement mal fondé l’empêcha de saisir la vraie signification des Écritures saintes, il récusa certaines parties des Textes révélés et buta sur les difficultés impliquées. « Nous avons fait descendre, avec le Coran, ce qui est guérison et miséricorde pour les croyants et ce qui ne fait qu’accroître la perte des prévaricateurs. » [voir : Coran 17.82]

(11.4)
« Le Sage de Ghazna [nota : le poète Saná’í] raconta l’histoire mystique
à ses auditeurs voilés, dans une allégorie :
Si les égarés ne voient dans le Coran
que des mots, on ne doit pas s’en étonner ;
De tous les feux du soleil éclairant le ciel
seule la chaleur peut atteindre l’œil de l’aveugle. » [nota : Rumi, Mathnaví, III, 4229-4231]

(11.5)
« Il en égare un grand nombre et il en dirige un grand nombre ; mais il n’égare que les pervers. » [voir : Coran 2.26]

(11.6)
Il est certain que l’amour, la camaraderie et l’unité entre tous les membres de l’espèce humaine jouent le rôle le plus important pour réaliser le développement et la gloire de l’homme, et sont l’agent suprême pour l’illumination et la rédemption du monde. Rien en ce monde ne peut être fait, ni même conçu, sans l’unité et la concorde ; et c’est la vraie religion qui est le moyen parfait pour engendrer l’association et l’union,. « Si tu avais dépensé tout ce que la terre contient, tu n’aurais pas uni leurs cœurs par une affection réciproque ; mais Dieu a suscité cette affection » [voir : Coran 8.63]

(11.7)
Lorsque viennent les prophètes de Dieu, leur pouvoir créateur d’union, tant extérieure qu’intérieure, rassemble sous l’aile du Verbe de Dieu les peuples hostiles, assoiffés de sang. Alors, des centaines de milliers d’âmes deviennent une seule âme et d’innombrables individualités émergent en un seul corps.

(11.8)
« Ils étaient comme les vagues de la mer
Que d’une seule, le vent de nombreuses.
Alors, Dieu fit descendre sur eux son Soleil
Et son soleil ne peut qu’être unique.
Les âmes des chiens et des loups se séparent,
Mais l’âme des lions de Dieu est une. »
[nota : voir Rúmí, Mathnaví, II, 185 et 189. Aussi le Ḥadíth : « Dieu créa les êtres dans les ténèbres et alors il répandit un peu de sa lumière sur eux. Ceux qui furent atteints par cette lumière prirent le droit chemin, et ceux qu’elle n’atteignit pas s’égarèrent. » cf. R.A. Nicholson, The Mathnaví of Jalálu’ddín Rúmí in E. J. W. Gibb Memorial Series]

(11.9)
Les faits qui se produisirent lors de la venue des prophètes du passé, leurs actes, leurs œuvres et circonstances, ne sont pas adéquatement consignés dans l’histoire officielle et ne sont rapportés que sous une forme condensée dans les versets du Coran, les saintes Traditions et la Torah. Mais puisque tous les événements qui eurent lieu depuis les jours de Moïse jusqu’aux temps présents, sont contenus dans le puissant Coran, les Traditions reconnues, la Torah et autres sources sûres, nous nous contenterons ici de nous y référer brièvement dans le but d’établir de façon concluante que la religion est la base même et le pivot de la culture et de la civilisation ou bien, comme le supposaient Voltaire et ses semblables, qu’elle fait obstacle au progrès, au bien-être et à la paix de la société.

(11.10)
En vue d’écarter une fois pour toutes les objections présentées par l’un ou l’autre des peuples du monde, nous procéderons dans notre discussion conformément aux récits dignes de foi acceptés par toutes les nations.

(11.11)
Au temps où les Israélites s’étaient multipliés en Egypte et s’étaient répandus à travers tout le pays, les Pharaons coptes résolurent de renforcer et de favoriser leurs propres peuples coptes et de dégrader et déshonorer les enfants d’Israël qu’ils considéraient comme des étrangers. Durant une longue période, les Israélites, divisés et dispersés, furent livrés aux mains des Coptes tyranniques, furent méprisés et dédaignés de tous de telle sorte que le plus humble des Coptes pouvait librement persécuter le plus noble des Israélites et mener la grande vie à leur égard. L’esclavage, l’infortune et l’impuissance des Hébreux atteignirent un point tel qu’à aucun moment, ni de jour ni de nuit, ils n’étaient en sécurité ni capables d’assurer la défense de leurs femmes et de leurs familles contre la tyrannie de leurs persécuteurs pharaoniques. Leur nourriture était alors les lambeaux de leur cœur brisé et leur boisson une rivière de larmes. Ils vécurent dans cette angoisse jusqu’à ce que soudainement Moïse, le Magnifique, vit la lumière divine émaner de la Vallée bénie où le sol était sacré, et entendit la voix vivifiante de Dieu parlant dans le feu de cet Arbre qui n’était « ni de l’Orient ni de l’Occident » [voir : Coran 24.35].

(11.12)
Il se leva dans toute la puissance de son état de prophète universel. Au sein des Israélites, il s’enflamma comme un phare de providence divine et, par la lumière du salut, il guida ce peuple égaré hors des ténèbres de l’ignorance vers le savoir et la perfection. Il rassembla les tribus dispersées d’Israël sous l’aile de l’universelle et unificatrice Parole de Dieu et, sur les hauteurs de l’unité, il dressa l’étendard de l’harmonie si bien que, très vite, ces âmes plongées dans l’ignorance devinrent spirituellement éduquées ; ceux qui avaient été tenus à l’écart de la vérité rallièrent alors la cause de l’unicité de Dieu, furent délivrés de leur infortune, de leur indigence, de leur ignorance et de leur captivité et atteignirent au suprême degré du bonheur et de l’honneur. Ils émigrèrent d’Egypte vers leur patrie originelle d’Israël et arrivèrent en Canaan et en Palestine. Ils conquirent d’abord les rives du Jourdain, puis Jéricho, et s’établirent dans cette région. Ensuite, toutes les régions environnantes, la Phénicie, Edom et Ammon, tombèrent sous leur empire. Au temps de Josué il y avait trente et un gouvernements aux mains des Israélites et dans tous les nobles attributs humains - éducation, stabilité, détermination, courage, honneur, générosité - ce peuple parvint à surpasser toutes les nations de la terre. En ce temps-là, quand un Israélite entrait dans une assemblée, il était immédiatement reconnu pour ses nombreuses vertus et même les peuples étrangers, désirant rendre hommage à un homme, disaient qu’il était semblable à un Israélite.

(11.13)
D’ailleurs, c’est un fait accrédité par de nombreux ouvrages historiques que les philosophes grecs, tels que Pythagore, acquirent des disciples de Salomon la majeure partie de leur philosophie, tant divine que matérielle. Et Socrate, après avoir voyagé et cherché à rencontrer quelques-uns des plus illustres savants et religieux d’Israël, établit, à son retour en Grèce, le concept de l’unicité de Dieu et la continuation de la vie de l’âme après qu’elle se soit débarrassée de sa poussière élémentaire. En fin de compte, les Grecs ignorants dénoncèrent cet homme qui avait sondé les plus intimes mystères de la sagesse et s’en prirent à sa vie ; alors, la populace força la main des dirigeants et ceux-ci, réunis en conseil, condamnèrent Socrate à boire la coupe empoisonnée.

(11.14)
Quand les Israélites eurent développé tous les aspects de la civilisation et réussi au plus haut degré possible, ils commencèrent peu à peu à oublier les principes premiers de la Loi et de la Foi mosaïques pour s’occuper de rites, de cérémonies et adopter une conduite inconvenante. Au temps de Roboam, fils de Salomon, une terrible dissension éclata entre eux ; l’un d’eux, Jéroboam, complota pour obtenir le trône et ce fut lui qui introduisit le culte des idoles. La lutte entre Roboam et Jéroboam amena des siècles de guerre entre leurs descendants, avec le résultat que les tribus d’Israël furent dispersées et démembrées. Bref, c’est parce qu’ils oublièrent la Loi de Dieu qu’ils se livrèrent au fanatisme ignorant et à des pratiques blâmables comme la sédition et l’insurrection. Leurs religieux, ayant conclu que toutes ces qualifications essentielles à l’humanité énoncées dans le Livre saint étaient devenues lettres mortes, ne pensèrent plus qu’à promouvoir leurs intérêts égoïstes et personnels, ils firent tort au peuple en lui permettant de sombrer dans les abîmes de l’insouciance et de l’ignorance. Comme fruit de leurs mauvaises actions, la gloire ancienne qui avait duré si longtemps devint dégradation et les souverains de Perse, de Grèce et de Rome les conquirent. Les bannières de leur souveraineté furent renversées ; l’ignorance, la sottise, l’abjection et l’égoïsme de leurs chefs religieux et de leurs savants se révélèrent lors de la venue de Nabuchodonosor, roi de Babylone, qui les détruisit.

(11.15)
Après un massacre général, le sac et la destruction de leurs maisons et même le déracinement de leurs arbres, il fit prisonniers tous ceux que son épée avait épargnés et les emmena à Babylone. Soixante-dix ans plus tard, les descendants de ces captifs furent libérés et retournèrent à Jérusalem. Puis, Ezéchiel et Esdras rétablirent parmi eux les principes fondamentaux du Livre saint et, jour après jour, les Israélites se développèrent et l’éclat matinal des temps passés brilla de nouveau. Bientôt, cependant, de grandes dissensions concernant la foi et le comportement resurgirent et de nouveau le seul souci des docteurs juifs fut de promouvoir leurs intérêts égoïstes et personnels, et les réformes instaurées au temps d’Esdras se muèrent en perversité et en corruption. La situation empira à tel point que les armées de la république de Rome et de ses gouvernants s’emparèrent du territoire d’Israël. Finalement, le belliqueux Titus, commandant des forces romaines, réduisit la terre d’Israël en poussière, passant tous les hommes au fil de l’épée, capturant les femmes et les enfants, écrasant les maisons, déracinant les arbres, brûlant les livres, pillant les trésors et réduisant Jérusalem et le Temple en un amas de cendres. Après cette suprême calamité, l’étoile de royaume d’Israël se réduisit à néant et, jusqu’à ce jour, les restes de cette nation disparue sont dispersés aux quatre vents. « Ils furent frappés par l’humiliation et la pauvreté. » [voir : Coran 2.51]

(11.16)
Ces deux grands désastres, causés par Nabuchodonosor et Titus, sont mentionnés dans le glorieux Coran : « Nous avons décrété dans le Livre, à l’adresse des enfants d’Israël : “Vous sèmerez deux fois le scandale sur la terre, et vous vous élèverez avec un grand orgueil.” Quand l’accomplissement de la première de ces deux promesses est venu, nous avons envoyé contre vous certains de nos serviteurs doués d’une force terrible. Ils pénétrèrent à l’intérieur des maisons et cette promesse se réalisa… Lorsque l’accomplissement de la seconde promesse est venu, c’était pour vous affliger, pour permettre à vos ennemis de pénétrer dans la mosquée comme ils l’avaient fait une première fois et pour détruire entièrement ce dont ils s’étaient emparés. » [voir : Coran 17.4 etc.]

(11.17)
Notre but est de démontrer comment la vraie religion suscite la civilisation et l’honneur, la prospérité et le prestige, l’éducation et le développement d’un peuple autrefois abject, esclave et ignorant, et comment, lorsqu’elle tombe aux mains de chefs religieux sots et fanatiques, elle est dirigée vers de mauvaises fins, jusqu’à ce que cette plus grande des splendeurs devienne la plus noire des nuits.

(11.18)
Quand, pour la seconde fois, les signes indéniables de la désintégration d’Israël, de son abaissement, de sa sujétion et de son anéantissement devinrent apparents, les douces et saintes brises de l’Esprit de Dieu (Jésus) soufflèrent alors sur le Jourdain et la terre de Galilée ; la nuée de la pitié divine emplit les cieux et répandit les eaux abondantes de l’esprit. Après ces fortes averses provenant de la plus grande Mer, la Terre sainte répandit ses parfums et fleurit de la connaissance de Dieu. Puis le chant solennel de l’Évangile s’éleva jusqu’à ce qu’il résonnât aux oreilles des habitants des demeures célestes et que, sous le souffle de Jésus, les morts insouciants, gisant dans les fossés de leur ignorance, relèvent la tête pour recevoir la vie éternelle. Pendant trois années, cet Astre de perfection foula les champs de Palestine et des environs de Jérusalem, conduisant tous les hommes vers l’aube de la rédemption, leur enseignant comment acquérir des qualités spirituelles et des attributs agréables à Dieu. Si les gens d’Israël avaient cru en cette belle Figure, ils auraient ceint leurs reins pour la servir et lui obéir, corps et âme et ils auraient, par le vivifiant parfum de son Esprit, retrouvé leur vitalité perdue et auraient marché vers de nouvelles victoires.

(11.19)
Hélas, à quoi cela servit-il ? Ils se détournèrent et s’opposèrent à lui. Ils se levèrent pour tourmenter cette Source de divin savoir, ce Réceptacle de la révélation - tous, sauf une poignée qui, tournant leur visage vers Dieu, furent purifiés des taches de ce monde et trouvèrent leur route vers les cimes du Royaume infini. Ils infligèrent toutes les agonies à cette Fontaine de grâce jusqu’à ce qu’il lui fut impossible de vivre dans les villes. Mais malgré cela, il brandit l’étendard du salut et établit solidement les fondements de la justice humaine, base essentielle de la vraie civilisation.

(11.20)
Au cinquième chapitre de Mathieu, débutant avec le trente-neuvième verset, il conseille : « Et moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. Au contraire, si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre. »

(11.21)
Et plus loin, au quarante-troisième verset :
« Vous avez appris qu’il a été dit : “Tu aimeras ton prochain et tu ne chagrineras pas ton ennemi par ton hostilité.” [nota : la version TOB se lit : « Vous avez appris qu’il a été dit : ‘Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi ». Les savants objectent que cette lecture est contraire à la Loi bien connue du Lévitique 19 : 18, de 1’Exode 34 : 4-5, des Proverbes 25 :21, du Talmud, etc.]

(11.22)
Et moi, je vous dis: Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense allez-vous en avoir? Les collecteurs d’impôts eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? »

(11.23)
Nombreux furent les conseils de ce genre donnés par cette Aurore de sagesse divine et les âmes caractérisées par ces attributs de sainteté sont l’essence la plus affinée de la création et les sources véritables de la civilisation.

(11.24)
Donc, Jésus établit la Loi sacrée sur la base d’un caractère moral et d’une totale spiritualité et, pour ceux qui crurent en lui, il instaura une manière de vivre spéciale qui est la plus haute forme d’action sur terre. Et, bien qu’en apparence, ces emblèmes de rédemption fussent abandonnés à la malveillance et aux persécutions de leurs bourreaux, en réalité ils avaient été délivrés des ténèbres désespérantes qui enveloppaient les Juifs. Ils brillèrent d’une gloire éternelle à l’aube de ce nouveau jour.

(11.25)
La puissante nation juive s’effondra et se désagrégea, mais ces quelques âmes qui cherchèrent refuge sous l’Arbre messianique transformèrent toute la vie humaine. En ce temps-là, les peuples du monde étaient totalement ignorants, fanatiques et idolâtres. Seul un petit groupe de Juifs professait la croyance en l’unicité de Dieu et c’étaient de misérables proscrits. Ces saintes âmes chrétiennes se levèrent alors pour promulguer une Cause diamétralement opposée et honnie par croyances de toute l’espèce humaine. Les rois de quatre des cinq continents résolurent d’exterminer inexorablement les disciples du Christ et, cependant, à la fin, la plupart d’entre eux se mirent à promouvoir la Foi de Dieu de tout leur cœur ; toutes les nations d’Europe, de nombreux peuples d’Asie et d’Afrique et quelques habitants des îles du Pacifique furent réunis sous l’aile de l’unicité de Dieu.

(11.26)
Existe-t-il, selon vous, quelque part dans la création un principe plus puissant à tout point de vue que la religion, ou quelque pouvoir que nous puissions concevoir plus pénétrant que les diverses Fois divines, ou encore quelqu’intermédiaire pouvant apporter l’amour vrai, la camaraderie et l’union entre les peuples ainsi que les réalise la croyance en un Dieu Tout-Puissant et Omniscient, ou bien, en dehors des lois de Dieu, un signe quelconque de l’existence d’un instrument pour éducation de l’humanité entière dans la droiture sous tous ses aspects ?

(11.27)
Ces qualités que les philosophes ne possédaient que lorsqu’ils avaient atteint les plus hautes sphères de la sagesse, ces nobles attributs humains qui les caractérisaient au faîte de leur perfection, les croyants les affichèrent dès qu’ils acceptèrent la Foi. Constatez comment ces âmes qui burent l’eau vive de la rédemption des mains bienveillantes de Jésus, l’Esprit de Dieu, et s’abritèrent sous l’ombre protectrice de l’Evangile, atteignirent un si haut degré de conduite morale que Galien, bien que non-chrétien, exalta leurs actions dans son sommaire de La République de Platon. Voici une traduction littérale de ses paroles :

(11.28)
« L’humanité en général est incapable de saisir une séquence d’arguments logiques. Pour cette raison, elle a besoin de symboles et de paraboles parlant de récompenses et de châtiments dans le monde à venir. Le confirme de manière évidente le fait qu’aujourd’hui nous observons des gens appelés chrétiens qui croient avec ferveur en des récompenses et des châtiments dans un état futur. Ce groupe commet d’excellentes actions, semblables à celles d’un vrai philosophe. Par exemple, nous voyons tous de nos propres yeux qu’ils ne craignent pas la mort et leur passion pour la justice et la droiture est si grande qu’on devrait les considérer comme de véritables philosophes » [nota : Cf. ‘Abdu’l-Bahá, Les leçons de St Jean d’Acre, ch. LXXXIV, et Promulgation of Universal Peace, p. 385. Voir aussi Galen on Jews and Christians par Richard Walzer, Presses de l’Université d’Oxford, 1949, p. 15. L’auteur mentionne que le sommaire de Galien dont il est ici question, est perdu et uniquement conservé dans des citations arabes]

(11.29)
En ce temps-là, et dans l’esprit de Galien, le rang d’un philosophe était supérieur à tout autre. Voyez alors comment les pouvoirs éducatifs et spirituels des religions divines poussent les croyants vers de telles cimes de perfection qu’en témoigne un philosophe comme Galien, lui-même non-chrétien.

(11.30)
Une preuve de l’excellente moralité des chrétiens d’alors est leur dévouement à pratiquer la charité et les bonnes œuvres, et le fait qu’ils fondèrent des hôpitaux et des institutions philanthropiques. Par exemple, l’empereur Constantin fut le premier à établir dans tout l’Empire Romain, des cliniques publiques où les pauvres, les blessés et les délaissés recevaient des soins médicaux. Ce grand roi fut le premier souverain romain à se faire le champion de la Cause du Christ. Il ne négligea aucun effort, vouant sa vie à répandre les principes de l’Évangile. Il établit solidement, sur des bases de modération et de justice, le gouvernement romain qui, en réalité, n’avait jamais été rien d’autre qu’un système d’oppression continue. Son nom béni luit comme l’étoile du matin à travers l’aube de l’histoire ; son rang et sa renommée parmi les plus nobles et les plus civilisés du monde, sont encore sur les lèvres des chrétiens de toutes confessions.

(11.31)
Quel solide fondement d’excellente nature fut posé en ces jours grâce à la formation de saintes âmes qui se levèrent pour promouvoir les enseignements de l’Évangile ! Combien d’écoles primaires, de collèges, d’hôpitaux et d’institutions où les enfants sans père ou indigents reçurent leur éducation, virent le jour ! Combien de personnes sacrifièrent leurs intérêts personnels et qui, « avec le désir de plaire à Dieu » [voir : Coran 4.114 et 2.207], consacrèrent leur vie entière à l’enseignement des masses !

(11.32)
Mais lorsque s’approcha le temps pour la resplendissante beauté de Muḥammad de descendre sur le monde, le contrôle des affaires chrétiennes avait passé aux mains de prêtres ignorants. Ces brises célestes, insufflant la grâce divine, disparurent et les lois de l’Évangile, pierre d’assise de la civilisation mondiale, devinrent stériles ; ceci à cause d’un mauvais usage et de la conduite de personnes qui, apparemment justes, étaient pourtant intérieurement perverses.

(11.33)
Les éminents historiens européens, décrivant les conditions, les coutumes, la politique, l’éducation et la culture des temps médiévaux et modernes, sont unanimes à dire que pendant les dix siècles qui constituent le Moyen Âge, c’est-à-dire du début du sixième siècle de l’Ere chrétienne jusqu’à la fin du quinzième, l’Europe était, à tous points de vue et à un degré extrême, plongée dans la barbarie et l’obscurité. La cause principale en était que les moines, considérés par les peuples européens comme des chefs religieux, avaient renoncé à la gloire inhérente à l’obéissance aux commandements divins et aux enseignements célestes de l’Évangile ; ils avaient joint leurs forces à celles des chefs présomptueux et tyranniques des gouvernements temporels de l’époque. Ils avaient détourné leurs regards de la gloire éternelle et consacraient tous leurs efforts à l’avancement de leurs intérêts terrestres mutuels et de leurs avantages passagers et périssables. En fin de compte, les choses en arrivèrent au point où les masses furent désespérément prisonnières entre les mains de ces deux groupes, et tout cela contribua à l’effondrement de toute la structure de la religion, de la culture, du bien-être et de la civilisation des peuples européens.

(11.34)
Quand les actions et les pensées indignes ainsi que les desseins déshonorants des chefs eurent tari les doux parfums de l’Esprit de Dieu (Jésus), que ceux-ci cessèrent de se répandre sur le monde et que les ténèbres de l’ignorance, du fanatisme et des actions désagréables à Dieu eurent recouvert le monde, alors l’aurore de l’espoir pointa et le printemps divin refleurit, une nuée de miséricorde enveloppa le monde et, des régions de la grâce, les vents fécondants se mirent à souffler. Par le signe de Muḥammad, le Soleil de Vérité se leva sur Yathrib (Médine) et le Ḥijáz, et répandit à travers l’univers les lumières de la gloire éternelle. Alors, la terre des potentialités humaines fut transformée et les paroles « La terre brillera de la lumière de Son Seigneur » [voir : Coran 39.69], furent accomplies. L’ancien monde fut renouvelé et son corps ressuscita d’une vie abondante. Puis la tyrannie et l’ignorance furent renversées et des tours de savoir et de justice furent édifiées à leur place. Un océan de lumière gronda et la science répandit ses rayons. Avant que la Flamme du Prophète suprême ne s’allume dans la lampe de La Mecque, les peuples sauvages de l’Ḥijáz étaient les plus brutaux et les plus ignorants de tous les peuples du monde. Tous les livres d’histoire relatent leurs pratiques dépravées et vicieuses, leur férocité et leurs luttes incessantes. En ce temps-là, les peuples civilisés du monde ne considéraient même pas les tribus arabes de La Mecque et de Médine comme des êtres humains. Et cependant, après que la Lumière du monde se fut levée sur eux, - à cause de l’éducation que leur donna cette Mine de perfections, ce Centre focal de la révélation, et à cause des bénédictions accordées par la Loi divine - ils furent rapidement rassemblés sous l’aile du principe de l’unicité divine. Ce peuple brutal atteignit alors un si haut degré de perfection humaine et de civilisation que tous ses contemporains s’en émerveillèrent. Ces mêmes peuples qui s’étaient toujours moqués des Arabes et les avaient ridiculisés comme une race dépourvue de jugement, les recherchaient maintenant, visitant leur pays pour acquérir l’éducation et la culture, l’habileté technique et politique, les arts et les sciences.

(11.35)
Observez l’influence qu’exerce sur les situations matérielles la formation inculquée par le véritable Éducateur. Voilà des tribus si ignorantes et sauvages que, pendant la période du Jáhilíyya, elles enterraient vives leurs filles de sept ans - acte que même un animal, et à plus forte raison un être humain, détesterait et refuserait, mais qu’ils considéraient, dans leur dégradation extrême, comme l’expression ultime de l’honneur et de leur attachement à leurs principes - et ce peuple de ténèbres, grâce aux enseignements manifestes de ce grand Personnage, se développa à un tel point qu’après qu’il eût conquis l’Egypte, la Syrie et sa capitale Damas, la Chaldée, la Mésopotamie et l’Iran, il administra, sans aide, toutes les affaires d’importance majeure dans quatre principales régions du globe.

(11.36)
À cette époque, les Arabes surpassaient tous les peuples du monde dans les sciences et les arts, l’industrie et l’invention, la philosophie, l’art de gouverner et le caractère moral. L’ascension si rapide de cet élément brutal et méprisable vers les cimes de la perfection humaine est la plus grande preuve de la légitimité de la qualité de Prophète du Seigneur Muḥammad.

(11.37)
Dans les premiers âges de l’islam, les peuples d’Europe acquirent les sciences et les arts islamiques pratiqués par les habitants de l’Andalousie. Une étude attentive et approfondie des récits historiques établira le fait que la majeure partie de la civilisation de l’Europe provient de l’islam ; car tous les écrits des savants, religieux et philosophes musulmans parvinrent graduellement en Europe et furent, avec le plus grand soin, pesés et débattus dans les assemblées académiques et les centres du savoir, après quoi leur précieux contenu put être utilisé. Aujourd’hui, de nombreux exemplaires d’ouvrages musulmans, qu’on ne peut trouver en islam, sont disponibles dans les bibliothèques d’Europe. De plus, les lois et principes en cours dans tous les pays européens sont tirés en grande partie, si ce n’est entièrement des ouvrages de jurisprudence et des décisions légales des théologiens musulmans. Si nous ne craignions d’allonger indûment notre texte, nous citerions ces emprunts l’un après l’autre.

(11.38)
Les débuts de la civilisation européenne datent du septième siècle de l’ère musulmane, En voici le déroulement : vers la fin du cinquième siècle de l’hégire, le Pape, chef de la chrétienté, poussa de grands cris et s’éleva contre le fait que les lieux sacrés des chrétiens, Jérusalem, Bethléem et Nazareth, étaient tombés sous la loi musulmane et il instigua les rois et les peuples d’Europe à entreprendre ce qu’il considérait comme une guerre sainte. Son appel passionné fut si puissant que tous les pays d’Europe y répondirent et que des rois croisés, à la tête d’armées considérables, passèrent la mer de Marmara et parvinrent sur le continent d’Asie. À cette époque, les califes fatimides régnaient sur l’Egypte et quelques pays de l’Ouest. La plupart du temps, les rois de Syrie, les Saljúqs, leur étaient aussi subordonnés. Bref, les rois occidentaux et leurs innombrables armées attaquèrent la Syrie et l’Egypte et un état de guerre permanent opposa pendant deux cent trois ans les souverains syriens et ceux d’Europe. Des renforts arrivaient continuellement d’Europe et les dirigeants occidentaux assiégèrent et prirent, à de multiples reprises, toutes les places fortes de Syrie que leur reprenaient chaque fois les chefs de l’islam. Finalement, Saladin, en 693 de l’hégire, bouta les rois d’Europe et leurs armées hors d’Egypte et de la côte syrienne. Définitivement battus, ces derniers revinrent en Europe. Au cours de ces guerres des Croisades, des millions d’êtres humains périrent. En résumé, de 490 à 693 A.H., les rois, commandants et autres chefs européens firent des allées et venues continuelles entre la Syrie, l’Egypte et l’Occident et quand, enfin, ils revinrent tous chez eux, ils introduisirent en Europe tout ce qu’ils avaient observé pendant plus de deux cents ans en pays musulman, en ce qui concerne le gouvernement, le développement social et à l’éducation, les collèges, les écoles et les raffinements de la vie. C’est de cette époque que date la civilisation européenne.


12. Les sources religieuses de la civilisation

(12.1)
Ô peuple de Perse ! Combien de temps encore dureront votre torpeur et votre léthargie ? Vous avez été les seigneurs de la terre entière ; le monde vous était soumis. Pourquoi votre gloire s’est-elle éteinte et pourquoi êtes-vous maintenant tombé en disgrâce et avez-vous glissé dans l’oubli ? Vous fûtes les fontaines du savoir, la source intarissable de lumière pour toute la terre ! D’où vient que vous soyez maintenant desséchés, taris et sans courage ? Vous qui autrefois éclairiez le monde, d’où vient que vous vous cachez, mornes et perplexes, dans les ténèbres ? Ouvrez votre esprit ; voyez votre grand besoin actuel. Levez-vous et luttez ; recherchez l’éducation, recherchez la lumière ! Est-il convenable qu’un peuple étranger ait reçu de vos ancêtres sa culture et son savoir et que vous, leur sang, leurs héritiers légitimes, en soyez dépourvus ? Que penser en voyant vos voisins travailler de tout cœur jour et nuit pour promouvoir leur avancement, leur honneur et leur prospérité, pendant que vous, dans votre fanatisme ignorant, ne vous préoccupiez que de vos querelles et de vos animosités, de vos penchants, de vos appétits et de vos rêves vains ? Est-il louable que vous gaspilliez, par votre apathie, le lustre qui est votre droit d’aînesse, votre compétence naturelle et votre intelligence innée ? Une fois de plus, nous nous éloignons de notre thème !

(12.2)
Les savants historiens européens qui sont bien informés des événements du passé de l’Europe et se caractérisent par leur franchise et leur sens de la justice, reconnaissent unanimement que les éléments de base de leur civilisation, dans tous ses aspects, sont tirés de l’islam. Par exemple : Draper, autorité française bien connue et écrivain dont l’exactitude, l’habileté et le savoir sont attestés par tous les érudits européens, a fait, dans l’un de ses ouvrages les plus répandus, « Le Développement Intellectuel de l’Europe », un compte-rendu détaillé concernant l’emprunt fait à l’islam par les peuples d’Europe, au sujet des fondements de la civilisation et des bases du progrès et du bien-être. Son compte-rendu est complet et en faire ici une traduction allongerait indûment le présent ouvrage et n’apporterait rien à notre but. S’il désire plus de détails, le lecteur peut se référer à ce texte.
[nota : « Draper » - le texte persan rend le nom de cet auteur comme « Dray-bár » et intitule son ouvrage Le Progrès des Peuples. Apparemment, l’on se réfère à John William Draper (1811 1882), célèbre chimiste et historien, dont les œuvres ont été largement traduites. Un compte-rendu détaillé des contributions musulmanes à l’Occident et sur Gerbert (Le Pape Sylvestre II) se trouve dans le second volume de l’ouvrage précité. Au sujet de certaines dettes systématiquement non reconnues par l’Europe envers l’islam, l’auteur écrit : « L’injustice fondée sur la rancœur religieuse et l’amour-propre national ne peut être perpétuée à jamais. » (Vol II, p. 42, Rev. ed.). The Dictionnary of American Biography dit que le père de Draper était un catholique qui prit le nom de John Christopher Draper quand sa famille le renia pour être devenu méthodiste, et qu’on ne connaît pas son véritable nom. Nous sommes redevables à M. Paul North Rice, chef du département des références de la Bibliothèque publique de New York de nous avoir informé que les données disponibles sur l’histoire et la nationalité de la famille Draper sont contradictoires ; The Drapers in America de Thomas Walm-Morgan (1892) dit que le père de Draper naquit à Londres alors que Albert E. Henschel dans « Centenary of John William Draper » (Université de New York « Colonnade », juin 1911) déclare ceci : « S’il y en a parmi nous qui retracent leur lignée aux champs ensoleillés de l’Italie, ils peuvent être fiers de John William Draper car son père, John C. Draper, était italien de naissance... » Le traducteur remercie aussi Madame Laura Dreyfus-Barney pour ses recherches relatives à ce passage dans la Librairie de l’Assemblée nationale et de la Bibliothèque nationale]

(12.3)
L’auteur démontre comment la totalité de la civilisation européenne - ses lois, ses principes, ses institutions, ses sciences, ses philosophies, son éducation diversifiée, ses manières et coutumes civilisées, sa littérature, son art et son industrie, ses traits caractériels louables et même plusieurs des mots courants de la langue française - vient des Arabes. Il étudie à fond ces éléments, donnant même l’époque où chacun fut importé de l’islam. Il décrit aussi l’arrivée des Arabes en Occident, dans ce qui est maintenant l’Espagne ; comment en peu de temps ils y établirent une civilisation avancée et quel haut degré d’excellence leur système administratif et leur érudition atteignirent ; combien leurs écoles et leurs collèges étaient solidement établis et bien régis, enseignant les sciences et la philosophie, les arts et les métiers ; comment ils parvinrent au premier rang dans les arts de la civilisation et combien d’héritiers des plus grandes familles d’Europe furent envoyés dans les écoles de Cordoue, de Grenade, de Séville et de Tolède pour y acquérir les sciences et les arts de la vie civilisée. Il mentionne même qu’un Européen nommé Gerbert s’inscrivit à l’université de Cordoue, en territoire arabe, y étudia les arts et les sciences et, à son retour en Europe, atteignit un rang si éminent qu’il fut plus tard élevé à la tête de l’Église catholique et devint Pape. [nota : Gerbert d’Aurillac, pape sous le nom de Sylvestre II (999 à 1003)]

(12.4)
Le but de ces références est d’établir le fait que les religions de Dieu sont la véritable source des perfections spirituelles et matérielles de l’homme et la fontaine de l’éveil et du savoir bénéfique pour l’humanité entière. Si l’on considère justement la question, on trouvera que toutes les lois politiques sont contenues dans ces quelques saintes paroles : « ils ordonnent ce qui est convenable, ils interdisent ce qui est blâmable ; ils s’empressent de faire le bien : voilà, ceux qui sont au nombre des justes » [voir : Coran 3.114]. Puis : « Puissiez-vous former une Communauté dont les membres appellent les hommes au bien : leur ordonnent ce qui est convenable et leur interdisent ce qui est blâmable : voilà ceux qui seront heureux » [voir : Coran 3.104]. Et encore : « Oui, Dieu ordonne l’équité, la bienfaisance… Il interdit la turpitude, l’acte répréhensible. Il vous exhorte. Peut-être réfléchirez-vous. » [voir : Coran 16.90] Et aussi, concernant le comportement humain civilisé : « Pratique le pardon, ordonne le bien ; écarte-toi des ignorants » [voir : Coran 7.199] Également : « ...pour ceux qui maîtrisent leur colère ; pour ceux qui pardonnent aux hommes - Dieu aime ceux qui font le bien. » [voir : Coran 3.134] Et encore : « La piété ne consiste pas à se tourner vers l’Orient ou vers l’Occident. L’homme bon est celui qui croit en Dieu, au dernier jour, aux anges, au Livre et aux prophètes. Celui qui, pour l’amour de Dieu, donne de son bien à ses proches, aux orphelins, aux pauvres, au voyageur, aux mendiants et pour le rachat du captif. Celui qui s’acquitte de la prière ; celui qui fait l’aumône. Ceux qui remplissent leurs engagements ; ceux qui sont patients dans l’adversité, le malheur et au moment du danger : voilà ceux qui sont justes ! Voilà ceux qui craignent Dieu ! » [voir : Coran 2.177] Et encore : « Ils les préfèrent à eux-mêmes, malgré leur pauvreté. » [voir : Coran 59.9] Voyez comme ces quelques versets sacrés englobent les plus hauts degrés et les plus profondes significations de la civilisation et incarnent les perfections du caractère humain.

(12.5)
Par le Seigneur Dieu et il n’est d’autre Dieu que lui, même les détails les plus infimes de la vie civilisée viennent de la grâce des prophètes de Dieu. Y eut-il jamais quelque chose de valable pour l’humanité qui ne fut d’abord mentionnée, directement ou par implication, dans les Écritures saintes ?

(12.6)
Hélas, à quoi cela sert-il ? Quand les armes sont aux mains des poltrons, aucune vie ou aucun bien n’est en sécurité et seuls les voleurs deviennent plus forts. De même, quand une prêtrise, loin d’être parfaite, acquiert le contrôle des affaires, elle s’interpose comme un épais rideau entre le peuple et la lumière de la Foi.

(12.7)
La sincérité est la pierre d’assise de la foi. C’est-à-dire, qu’un individu pieux doit renoncer à ses désirs personnels et chercher, de toutes les manières possibles, à servir l’intérêt public de tout son cœur ; il n’est possible à l’être humain de se détourner de ses avantages égoïstes et de sacrifier son intérêt personnel pour le bien de la communauté, que par la vraie foi religieuse. Car l’amour de soi est ancré dans l’argile même de l’homme et il ne lui est pas possible de négliger son bien matériel immédiat, sans l’espoir d’une récompense substantielle. Cependant, l’individu qui met sa foi en Dieu et croit en les paroles de Dieu - parce qu’il a la promesse d’une abondante récompense dans l’autre vie, ce dont il a la certitude, et parce que les avantages temporels ne sont rien pour lui en comparaison de la joie et de la gloire des sphères d’existence future - abandonnera, pour l’amour de Dieu, sa tranquillité et son avantage personnel et se vouera librement, cœur et son âme, au bien commun. « Il en est un, parmi les hommes, qui s’est vendu lui-même pour plaire à Dieu. » [voir : Coran 2.207]

(12.8)
Certains croient qu’un sens inné de la dignité humaine empêchera l’homme de commettre des actions mauvaises et assurera sa perfection spirituelle et matérielle. En d’autres termes, un individu caractérisé par une intelligence naturelle, une ferme résolution et un zèle inlassable, s’abstiendra instinctivement, sans considération de châtiments sévères à la suite d’actions mauvaises ou de grandes récompenses découlant de la droiture, de nuire à son prochain et aura faim et soif de bien. Mais si nous réfléchissons aux leçons de l’histoire, il devient évident que ce sens de l’honneur et de la dignité est lui-même un des bienfaits provenant des enseignements des prophètes de Dieu. Nous observons aussi chez les enfants les signes d’agression et d’anarchie et l’amplification continuelle de ces qualités indésirables, si un enfant est privé de l’enseignement d’un Maître. Il est donc clair que l’émergence de ce sens naturel de dignité humaine et d’honneur est le résultat de l’éducation. Deuxièmement, même si nous admettons, pour suivre ce raisonnement, qu’une intelligence instinctive et la qualité morale innée empêcheraient de faire le mal, il est évident que les individus ainsi caractérisés sont aussi rares que la pierre philosophale. Une telle hypothèse ne peut être validée par de simples mots, elle doit être basée sur des faits. Voyons dans la création quel pouvoir pousse les masses vers des buts et des actes vertueux !

(12.9)
En plus de cela, si cet individu exceptionnel possédant une telle faculté devait aussi posséder la crainte de Dieu, il est certain que ses tendances à la vertu en seraient grandement accrues.

(12.10)
Des avantages universels découlent de la grâce des religions divines, car elles guident leurs vrais disciples vers la sincérité d’intention, le dessein élevé, l’honneur pur et sans tache, le dépassement de la bonté et de la compassion, le respect des conventions contractées, le souci des droits d’autrui, la générosité, la justice dans tous les aspects de la vie, l’honnêteté et la philanthropie, le courage et le labeur incessant au service de l’humanité. En résumé, c’est la religion qui produit toutes les vertus humaines et ces vertus sont les brillantes étoiles de la civilisation. Il est certain qu’un homme qui n’est pas caractérisé par ces excellentes qualités, n’a jamais obtenu la moindre goutte de l’insondable rivière d’eaux vives qui coule dans les enseignements des Livres saints, ni respiré la moindre bouffée des brises odorantes qui soufflent des jardins de Dieu ; car rien sur terre ne peut être démontré uniquement par des mots et chaque niveau d’existence est connu par ses signes et symboles, et chaque degré de développement humain possède son signe distinctif.

(12.11)
Le but de ces propos est de prouver abondamment que les religions divines, les saints préceptes, les enseignements célestes, sont l’indiscutable base du bonheur humain et que les peuples du monde ne peuvent espérer de soulagement réel ou de délivrance sans l’application de ce grand remède. Cette panacée doit toutefois être administrée par un médecin sage et habile car dans les mains d’un homme incompétent, tous les remèdes que le Seigneur des hommes à jamais créés pour guérir l’humanité de ses maux ne peuvent produire la santé ; au contraire, ils ne pourraient que détruire les faibles et accabler le cœur de ceux qui sont déjà affligés.

(12.12)
Cette Source de sagesse divine, cette Manifestation prophétique universelle (Muḥammad), en encourageant l’humanité à acquérir les sciences, les arts et autres avantages similaires, lui a commandé de les rechercher jusqu’aux confins mêmes de la Chine ; toutefois, les docteurs incompétents et ergoteurs le défendent, se justifiant par le dicton : « Celui qui imite un peuple est l’un d’entre eux ». Ils n’ont même pas saisi la signification de l’« imitation » à laquelle on se réfère et ne savent pas que les religions divines imposent aux fidèles d’adopter ces principes qui produisent une amélioration constante et les encouragent à acquérir les sciences et les arts des autres peuples. Quiconque prétend le contraire n’a jamais goûté au nectar du savoir et s’égare dans sa propre ignorance, cherchant à tâtons le mirage de ses propres désirs.

(12.13)
Considérez bien ceci : lequel des développements modernes, en eux-mêmes ou dans leur application, est contraire aux commandements divins ? S’il s’agit de l’institution de parlements, ceci est enjoint par le texte même du verset : « ceux qui délibèrent entre eux de leurs affaires ». [voir : Coran 42.36]. Et encore, s’adressant à la Fontaine de toute connaissance, la Source de perfection (Muḥammad), qui possédait pourtant la sagesse universelle, ces paroles : « et consulte-les en la matière. » [nota : Nous n’avons pas trouvé ce verset dans la traduction de D. Masson, ni dans celle de Boubakeur, Fayard-Denoël, Paris, 1972. Nous lisons en 3 : 154 : « si l’affaire avait dépendu de nous… »]
Eu égard à cela, comment la question de la consultation mutuelle pourrait-elle être contraire à la loi religieuse ? Les grands avantages de la consultation peuvent aussi être démontrés par une argumentation logique.

(12.14)
Peuvent-ils dire qu’il serait contraire aux lois de Dieu qu’une sentence de mort dépende d’une enquête très soignée, qu’elle soit ratifiée par de nombreuses instances, soumise à preuve légale et sujette à l’édit royal ? Peuvent-ils prétendre que ce qui est arrivé sous le précédent gouvernement était conforme au Coran ? Par exemple, quand Ḥájí Mírzá Áqásí était Premier Ministre, l’on entendit dire de diverses sources que le gouverneur du Gulpáyán fit arrêter treize intendants sans défense de cette région, tous de sainte lignée et tous innocents, et leur trancha la tête sur-le-champ, sans procès et sans avoir obtenu la sanction d’une autorité supérieure.

(12.15)
À un certain moment, la population de la Perse dépassait cinquante millions. Elle a été décimée, en partie par les guerres civiles, mais surtout par manque d’un système gouvernemental adéquat et à cause du despotisme et de l’autorité absolue de gouverneurs provinciaux et locaux. Le temps venant, à peine un cinquième de la population survécut, car les gouverneurs choisissaient n’importe quelle victime, bien qu’innocente, passaient leur colère sur elle et la mettaient à mort. Ou, par caprice, ils faisaient leur favori d’un meurtrier avéré. Personne ne pouvait élever la voix car le gouverneur avait le contrôle absolu. Pouvons-nous dire que ces choses étaient conformes à la justice ou aux lois de Dieu ?

(12.16)
Pouvons-nous soutenir qu’il est contraire aux fondements de la Foi d’encourager l’acquisition d’arts utiles et de connaissances générales, de s’informer des vérités de ces sciences physiques bénéfiques à l’humanité, d’élargir le champ d’action de l’industrie, d’augmenter la production commerciale et d’ouvrir de nouvelles voies à la richesse nationale ? Serait-ce contraire au culte de Dieu que d’instaurer la loi et l’ordre dans les villes et d’organiser les districts ruraux, d’entretenir les routes, de construire des voies ferrées, de faciliter le transport et les voyages, d’accroître ainsi le bien-être du peuple ? Serait-ce incompatible avec les commandements et interdictions divins que d’exploiter les mines abandonnées, la plus grande source de richesse nationale, de construire des usines d’où découlent le confort, la sécurité et la richesse du peuple, ou de stimuler la création de nouvelles industries et de promouvoir l’amélioration de nos produits domestiques ?

(12.17)
Par le Très Glorieux ! je suis étonné de voir quel voile épais recouvre leurs yeux et combien il les rend aveugles même à des nécessités aussi évidentes que celles-ci. Et il n’y a aucun doute que lorsque des arguments concluants et des preuves de cette sorte seront avancés, ils répondront, à cause de mille rancunes et préjugés cachés : « Au Jour du Jugement, quand les hommes se tiendront devant leur Seigneur, ils n’auront pas à répondre de leur éducation et de leur niveau de culture - ils seront plutôt jugés sur leurs bonnes œuvres. » Admettons-le et supposons que l’homme n’aura pas à répondre de son éducation et de sa culture ; soit mais en ce grand Jour du jugement, les chefs n’auront-ils pas à rendre compte ? Ne leur sera-t-il pas dit : « Ô chefs et dirigeants ! Pourquoi avez-vous été la cause de la chute de cette puissante nation des hauteurs de sa gloire passée et de la perte de sa place au cœur du monde civilisé ? Vous auriez pu prendre les mesures qui auraient porté ce peuple au sommet de l’honneur. Vous ne l’avez pas fait et vous avez même été jusqu’à le priver des avantages communs à tous. Ce peuple n’a-t-il pas brillé autrefois comme les étoiles dans un ciel de bon augure ? Comment avez-vous osé recouvrir sa lumière de ténèbres ? Et quand, par la grâce de Dieu, une Lumière fulgurante éclata, pourquoi ne l’avez-vous pas abritée dans le verre de votre vaillance, des vents qui s’abattirent sur elle ? Pourquoi avez-vous mis toute votre puissance à l’éteindre ? »

(12.18)
« Nous attachons son destin au cou de chaque homme, le Jour de la Résurrection, nous lui présenterons un Livre qu’il trouvera ouvert. » [voir : Coran 17.33]

(12.19)
Encore une fois, y a-t-il une seule action au monde qui serait plus noble que de servir le bien commun ? Peut-on concevoir une plus grande bénédiction pour l’homme que de devenir la cause de l’éducation, du développement, de la prospérité et de l’honneur de ses frères ? Non, par le Seigneur Dieu ! La plus haute justice consiste en ce que les âmes bénies tendent la main aux désespérés et les délivrent de leur ignorance, de leur abaissement et de leur pauvreté, et qu’avec des intentions pures et uniquement pour l’amour de Dieu, elles se lèvent et se dévouent énergiquement au service des masses, oubliant leurs avantages temporels et ne travaillant qu’au service du bien général. « Ils les préférèrent à eux-mêmes, malgré leur pauvreté. » [voir : Coran 59.9] « Les hommes les meilleurs sont ceux qui servent le peuple ; les pires hommes sont ceux qui nuisent au peuple. »

(12.20)
Gloire à Dieu ! Quelle extraordinaire situation prévaut maintenant : personne parmi ceux qui ont appris une proclamation, ne se demande quel est le motif réel de l’orateur et quel but égoïste il pourrait avoir camouflé sous les mots. On voit, par exemple, qu’un individu cherchant à servir ses propres intérêts mesquins, bloquera le développement de tout un peuple. Pour faire tourner son moulin hydraulique, il laissera se dessécher les fermes et les champs des autres. Pour maintenir sa propre autorité, il égarera éternellement les masses dans ce préjugé et ce fanatisme qui sapent la base même de la civilisation.

(12.21)
Si un tel homme, en même temps qu’il pose des actes qui sont anathèmes aux yeux de Dieu et haïs de tous les Prophètes et des Elus, voit un malheureux qui vient de manger se laver les mains avec du savon - produit dont l’inventeur fut ‘Abdu-lláh Búní, un musulman - au lieu de les essuyer sur le devant de sa robe et sur sa barbe, il pousse les hauts cris parce que la loi religieuse a été offensée et que les us et coutumes des peuples païens ont été intégrés aux nôtres. Totalement inconscient de ses mauvaises actions à lui, il considère la cause même de la propreté et du raffinement comme mauvaise et stupide.

(12.22)
Ô Peuple de Perse ! ouvre les yeux ! écoute ! délivre-toi de cette soumission aveugle aux bigots, de cette imitation insensée, cause principale qui jette les hommes dans l’ignorance et la dégradation. Vois le véritable état de choses. Lève-toi ; prends ces mesures qui t’apporteront vie et joie, grandeur et gloire entre toutes les nations du monde.

(12.23)
Les vents du vrai printemps soufflent sur toi ; pare-toi de fleurs comme les arbres d’un jardin odorant. Les nuages printaniers ruissellent pour te rendre frais et verdoyant comme les champs éternels pleins de douceur. L’étoile du matin brille, dirige tes pas sur le droit chemin. La mer de puissance s’enfle, hâte-toi vers les rives de la ferme résolution et de la chance. L’eau pure de la vie jaillit, pourquoi passes-tu tes jours dans un désert de soif ? Vise haut, choisis de nobles buts. Pour combien de temps cette léthargie, pour combien de temps cette négligence ! Le désespoir, aujourd’hui et demain, est tout ce que tu retireras de ta complaisance envers toi-même. Tu ne récolteras du fanatisme que misère et abomination, en plaçant ta croyance dans les ignorants et les inconscients. Les confirmations de Dieu t’appuient, le secours de Dieu est à portée de mains : pourquoi n’exultes-tu pas de tout ton cœur et n’agis-tu pas de toute ton âme !


13. Les réformes nécessaires

(13.1)
Parmi ces questions nécessitant une entière révision et une réforme profonde, il y a la méthode d’étude des diverses branches du savoir et l’organisation des programmes académiques. Par manque d’organisation, l’éducation se fait au petit bonheur et dans la confusion. Des sujets futiles qui ne devraient pas être élaborés reçoivent une attention indue, à tel point que les étudiants, pendant de longues années, gaspillent leur intelligence et leurs énergies sur des matières qui ne sont que pures suppositions et ne peuvent en aucune façon être prouvées. Ces études consistent à approfondir des exposés et des concepts, qu’un examen attentif jugerait non seulement comme invraisemblables, mais même, comme étant de simples superstitions, elles consistent en l’approfondissement de thèses inutiles et la poursuite d’absurdités. Il ne fait pas de doute que s’occuper de telles illusions, examiner et débattre longuement des propositions aussi oiseuses, n’est rien d’autre qu’une perte de temps et un galvaudage des jours de sa propre vie. Mais pis encore, ceci empêche l’individu d’entreprendre l’étude des arts et des sciences dont la société a un si grand besoin. Avant de s’aventurer dans l’étude d’un quelconque sujet, la personne devrait se demander quelle est son utilité et quels en seront les fruits et les résultats. Si c’est une branche utile du savoir, c’est-à-dire, si la société en tirera des avantages importants, alors elle doit certainement s’y engager de tout son cœur. Sinon, s’il ne consiste qu’en débats vides et inutiles et en un futile enchaînement de suppositions sans autre résultat que l’acrimonie, pourquoi vouer sa vie à des disputes et à des ergotages aussi stériles ?

(13.2)
Puisque cette question demande à être plus profondément élucidée et bien comprise, et qu’il faut pouvoir établir que certains sujets, présentement négligés, ont une valeur inestimable alors que le pays n’a que faire de bien d’autres études superflues, nous ferons le point, avec l’aide de Dieu, dans un second volume. Nous espérons que la lecture de ce premier volume produira des changements fondamentaux dans la pensée et le comportement de la société car nous avons entrepris cet ouvrage dans une intention sincère et uniquement pour l’amour de Dieu. Bien que, dans ce monde, les individus capables de faire la distinction entre l’intention pure et les fausses paroles soient aussi rares que la pierre philosophale, nous plaçons quand même notre espoir dans les incommensurables bienfaits du Seigneur.

(13.3)
Reprenons : Concernant ce groupe qui soutient qu’en effectuant ces réformes nécessaires nous devons agir avec circonspection et avoir la patience d’atteindre les objectifs un par un, que veulent-ils dire exactement par cela ? S’ils entendent par circonspection celle que la science du gouvernement requiert, leur pensée est opportune et appropriée. Il est certain que des entreprises importantes ne peuvent être menées à une heureuse conclusion dans la hâte, qu’en de telles circonstances la précipitation ne produirait que du gâchis.

(13.4)
Le monde de la politique est semblable au monde de l’homme ; c’est d’abord une semence qui passe graduellement à la condition d’embryon et de fœtus, acquérant une structure osseuse, se couvrant de chair, prenant sa propre forme spécifique jusqu’à ce que, enfin, il atteigne la sphère où il peut convenablement satisfaire aux paroles : « le meilleur des créateurs. » [voir : Coran 23.14 - « Béni soit Dieu, le meilleur des créateurs]. Comme ceci est une nécessité de la création et se base sur la Sagesse universelle, de même le monde politique ne peut évoluer instantanément du nadir de l’imperfection au zénith de l’exactitude et de la perfection. Et qui plus est, les personnes qualifiées doivent œuvrer jour et nuit, user de tous les moyens conduisant au progrès, jusqu’à ce que gouvernement et peuple se développent sous tous les rapports, jour après jour, et même d’un instant à l’autre.

(13.5)
Quand, par les bienfaits de Dieu, trois choses apparaîtront sur la terre, ce monde de poussière deviendra vivant et se montrera merveilleusement paré et rempli de grâce. Ces choses sont : premièrement, les vents fertiles du printemps ; deuxièmement, l’abondance des nuages printaniers ; et troisièmement, la chaleur du soleil éclatant. Quand, par l’infinie générosité de Dieu, elles nous auront été accordées, alors, lentement, avec sa permission, les arbres et les branches desséchés reverdiront et se pareront de fleurs et de fruits abondants. Il en est de même quand les pures intentions et la justice des gouvernants, la sagesse, l’adresse consommée et la diplomatie des autorités se combineront avec la détermination et les efforts incessants du peuple ; alors, jour après jour, se manifesteront clairement les effets du progrès, des réformes de grande envergure, de la fierté et de la prospérité tant du gouvernement que du peuple.

(13.6)
Si, cependant, par délai et ajournement ils entendent que, dans chaque génération, seule une infime partie des réformes nécessaires doit retenir l’attention, ce n’est que léthargie et inertie ; aucun autre résultat ne peut être espéré d’une telle procédure que l’éternelle répétition de paroles oiseuses. Si la hâte est préjudiciable, l’inertie et l’indolence sont mille fois pires. Un moyen terme est préférable, comme il est écrit : « Il vous incombe de bien faire entre deux maux » ceci se référant à la norme entre deux extrêmes. « Ne porte pas ta main fermée à ton coup, et ne l’étends pas non plus trop largement… cherche un mode intermédiaire. » [voir : Coran 17.29-110]

(13.7)
Le besoin primordial, le plus urgent, est la promotion de l’éducation. Il est inconcevable pour aucune nation qu’elle atteigne la prospérité et le succès sans qu’on se préoccupe de ce problème primordial et fondamental. La raison principale du déclin et de la chute des peuples est l’ignorance. De nos jours, les masses ignorent même les questions courantes, elles peuvent d’autant moins comprendre d’une manière complète les problèmes importants et les besoins complexes actuels.

(13.8)
Il est donc urgent que l’on écrive des articles et des livres salutaires, établissant clairement et définitivement quels sont les besoins actuels du peuple et ce qui conduira au bonheur et au développement de la société. Ces écrits devraient être publiés et distribués à la nation entière afin qu’au moins les chefs parmi le peuple s’éveillent jusqu’à un certain point et œuvrent dans ces voies qui les conduiront à un honneur durable. La publication de pensées élevées est le fluide dynamique dans les artères de la vie ; c’est l’âme même du monde. Les pensées sont une mer infinie, les effets et les diverses conditions de l’existence sont comme les formes différentes et les limites individuelles des vagues ; les vagues ne se lèveront pas et ne répandront pas leurs perles de savoir sur les rives de la vie tant que ne s’enflera la mer.

(13.9)
« Tu es, mon Frère, ta seule pensée
Le reste n’est que muscles et os. »
[nota : Rúmí, Le Mathvaní, II, 2 : 277. La strophe suivante est : « Un jardin fermé, si cette pensée est une rose, mais si c’est une épine, elle n’est bonne qu’à brûler »]

(13.10)
L’opinion publique doit être dirigée vers tout ce qui est digne de ce jour et cela est impossible à moins que l’on ne fasse usage d’arguments adéquats et ne formule des preuves claires, complètes et concluantes. Car les masses désarmées ne savent rien du monde, et bien que, sans aucun doute, elles recherchent leur propre bonheur et y aspirent, l’ignorance, comme un voile épais, les en sépare.

(13.11)
Observez à quel point le manque d’éducation peut affaiblir et avilir un peuple. Aujourd’hui (1875), du point de vue de la population, la Chine est la plus grande nation du monde avec plus de quatre cents millions d’habitants. De ce fait, son gouvernement devrait se distinguer plus que tout autre et son peuple devrait être le plus louangé. Et pourtant, à cause de son manque d’éducation en matière de civilisation culturelle et matérielle, elle est, au contraire, la plus faible et la plus impuissante des nations. Il n’y a pas très longtemps, un petit contingent de troupes françaises et anglaises entra en guerre avec la Chine et la vainquit d’une façon si décisive qu’il s’empara de Pékin, sa capitale. Si le gouvernement et le peuple chinois avaient été au fait des sciences modernes, s’ils avaient été formés dans les arts de la civilisation, l’attaque aurait échoué, même si toutes les nations du monde s’étaient liguées contre eux, et les attaquants seraient retournés vaincus d’où ils étaient venus.

(13.12)
Plus étrange encore que cet épisode : le gouvernement du Japon fut, au début, soumis à la Chine et sous sa protection ; depuis maintenant quelques années, le Japon a ouvert les yeux et a adopté les techniques contemporaines du progrès et de la civilisation, favorisant les sciences et les industries utiles au public et œuvrant de toutes ses forces et de toute sa compétence pour centrer l’opinion publique sur la réforme. Ce gouvernement a continuellement progressé à tel point que, bien que sa population ne soit que le sixième ou même le dixième de celle de la Chine, il a récemment défié le gouvernement de celle-ci et la Chine a finalement été forcée d’accepter un accord. Observez attentivement comment l’éducation et les arts de la civilisation apportent l’honneur, la prospérité, l’indépendance et la liberté à un peuple et à son gouvernement.

(13.13)
De plus, il est d’une nécessité vitale d’instituer des écoles par toute la Perse, même dans les moindres cités rurales et les villages, et d’encourager le peuple, de toutes les façons possibles, à inciter leurs enfants à apprendre à lire et à écrire. Si nécessaire, l’éducation devrait même devenir obligatoire. Tant que les nerfs et les artères de la nation ne seront pas ravivés, toute mesure s’avérera vaine ; car le peuple est semblable au corps humain et la détermination ainsi que la volonté de lutte sont comme l’âme ; un corps sans âme est inerte. Ce pouvoir dynamique est présent à un suprême degré dans la nature même du peuple persan et la diffusion de l’éducation le libérera.



14. La nécessité d'emprunts extérieurs pour réformer la situation en Perse

(14.1)
A ce sujet, qui peut croire qu’il n’est ni nécessaire ni approprié d’emprunter les principes de civilisation, les fondements du progrès vers les hautes sphères du bonheur social dans un monde matériel, les lois qui engendrent de profondes réformes, les méthodes qui élargissent le champ de la culture et qu’il est de loin plus judicieux pour la Perse et les Persans de réfléchir à la situation et de créer alors leurs propres techniques de progrès ?

(14.2)
Si l’on pouvait combiner l’intelligence vigoureuse et l’adresse supérieure des grands de la nation, l’énergie et la résolution des hommes les plus éminents de la cour impériale, l’effort résolu de ceux qui, dotés de savoir et de capacité, sont versés dans les grandes lois de la vie politique, tous s’efforçant d’examiner et de considérer chaque détail aussi bien que toutes les importantes affaires courantes, il est certain, selon toutes apparences, que les projets qu’ils formeraient pourraient réformer complètement certaines situations. Toutefois, dans la majorité des cas, ils devraient toujours emprunter ; parce que, pendant des millénaires, des centaines de milliers de gens ont voué leur vie entière à tester ces choses jusqu’à ce qu’elles soient aptes à produire des améliorations substantielles. Si tout cela doit être ignoré et qu’un effort est fait pour recréer ces moyens d’action dans notre pays et à notre manière et ainsi réaliser le développement souhaité, plusieurs générations passeront et le but ne sera toujours pas atteint. Observez par exemple que, dans d’autres pays, on persévéra pendant longtemps avant de, finalement, découvrir la puissance de la vapeur et, par elle, de pourvoir facilement accomplir les lourdes tâches qui dépassent les forces humaines. Combien de siècles cela prendrait-il si nous devions abandonner l’usage de cette force et consacrer tous nos efforts pour découvrir une énergie de remplacement ? Il est donc préférable de continuer à utiliser la vapeur et, en même temps, d’examiner l’éventualité de l’existence d’une force beaucoup plus grande. On devrait considérer sous le même angle les autres progrès techniques, les sciences, les arts et les formules politiques qui ont fait leurs preuves - c’est-à-dire, ces procédés qui, à travers les âges, ont été testés encore et encore et dont les divers usages et avantages ont eu pour résultat indéniable la gloire et la grandeur de l’État, le bien-être et le progrès du peuple. Si nous devions abandonner tout cela, sans raison valable, et tenter d’autres méthodes de réforme, plusieurs années s’écouleraient, voire plusieurs vies, avant qu’elles puissent prendre effet et que leurs avantages soient prouvés. En attendant, « nous sommes toujours à la première courbe du chemin. » [nota : tiré des vers : « ‘Aṭṭár est passé dans les sept villes de l’amour et nous sommes toujours à la première courbe du chemin. »]

(14.3)
La supériorité du présent en regard du passé consiste en ce que le présent peut s’approprier et adopter comme modèle plusieurs choses qui furent testées et éprouvées et dont de grands profits ont été tirés dans le passé ; qu’il peut aussi faire ses propres découvertes qui viendront ainsi augmenter son précieux héritage. Il est donc clair que les faits et expériences du passé sont connus et disponibles pour le présent alors que les découvertes spécifiques au présent étaient inconnues du passé. Ceci présuppose que la dernière génération en date soit composée de gens capables ; et pourtant, à combien de personnes de la dernière génération, a manqué ne serait-ce qu’une une goutte de l’océan de savoir qui était celui de leurs ancêtres.

(14.4)
Réfléchissez un instant : supposons que, par le pouvoir de Dieu, certains individus soient mis sur terre ; ils ont nécessairement besoin de plusieurs choses pour maintenir leur dignité humaine, leur bonheur et leur bien-être. Mais, est-il plus pratique pour eux d’acquérir ces choses de leurs contemporains ou devraient-ils, à chaque génération successive, ne rien emprunter et créer indépendamment l’un ou l’autre des moyens nécessaires à l’existence humaine ?

(14.5)
Certains devraient-ils maintenir que ces lois, ces principes et ces bases du progrès vers les plus hauts degrés d’une société pleinement développée - choses qui sont courantes dans d’autres pays - ne conviennent pas à la condition et aux besoins traditionnels du peuple persan et qu’ainsi il est nécessaire qu’à travers l’Iran, les planificateurs nationaux s’efforcent d’instaurer des réformes appropriées à la Perse, qu’ils expliquent d’abord quel mal viendrait de telles importations étrangères !

(14.6)
Si le pays était reconstruit, les routes réparées, le sort des malheureux amélioré de diverses façons, les pauvres assistés, les masses dirigées sur le sentier du progrès, les voies de la richesse publique élargies, le champ de l’éducation étendu, le gouvernement convenablement organisé et que le libre exercice des droits de l’individu, la sécurité de sa personne et de ses biens, sa dignité et son bon renom soient assurés, tout cela serait-il contraire au caractère du peuple persan ? Tout ce qui va à l’encontre de ces mesures a déjà été reconnu comme nuisible dans tous les pays et ne s’applique pas à un endroit plutôt qu’à un autre.

(14.7)
Ces superstitions résultent toutes d’un manque de sagesse et de compréhension, d’une observation et une analyse insuffisantes. En fait, la majorité des réactionnaires et des temporisateurs ne font que dissimuler leurs intérêts égoïstes sous un flot de paroles oiseuses et troubler l’esprit des masses ignorantes par des déclarations publiques qui n’ont aucun rapport avec leurs buts secrets.

(14.8)
Ô peuple de Perse ! Le cœur est un dépôt divin ; purifiez-le des taches de l’égoïsme, parez-le de la couronne de l’intention pure, jusqu’à ce que l’honneur sacré et la grandeur pérenne de cette nation illustre brille comme le vrai matin sous un ciel prometteur. Cette poignée de jours terrestres s’estompera comme les ombres et ne sera plus. Oeuvrez donc pour que Dieu répande sa grâce sur vous, afin que vous laissiez un souvenir favorable dans le cœur et sur les lèvres de ceux qui vous suivront. « Et fais que la postérité parle de moi avec honneur. » [voir : Coran 26.84. D. Masson traduit « Crée en moi une langue qui énonce la vérité pour les générations futures »]

(14.9)
Heureux celui qui oubliera son propre intérêt et, comme les Elus de Dieu, rivalisera avec ses frères au service du bien de tous, jusqu’à ce que, renforcé par les bénédictions et les confirmations constantes de Dieu, il ait le pouvoir d’élever cette nation puissante jusqu’aux anciens sommets de gloire, d’éveiller cette terre desséchée à une vie nouvelle et, comme un printemps spirituel, de parer ces arbres que sont les vies humaines, des feuilles fraîches, des fleurs et des fruits de la joie consacrée


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